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Le Duel Anna Bolena : Netrebko ou Sills ?

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Humeur
19 mai 2014

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Alors que Bordeaux s’apprête à proposer une nouvelle production d’Anna Bolena, du 27 mai au 8 juin (plus d’informations), se pose une question fondamentale : quelle est la meilleure interprète du rôle-titre : Beverly Sills ou Anna Netrebko ?


Beverly Sills

par Antoine Brunetto

Anna Bolena est la dernière des trois reines donizettiennes que Beverly Sills aborde (après Elisabetta de Roberto Devereux et Maria Stuarda), au studio d’abord, en 1972, puis à la scène en 1973. Son enregistrement officiel demeure encore aujourd’hui une référence, pour des raisons diverses : au-delà de la soprano américaine, l’équipe réunie à cette occasion est de haut vol (Shirley Verrett impériale, Paul Plishka impérieux, Stuart Burrows élégant à défaut d’être totalement idiomatique) et l’édition plus complète qu’habituellement (on ne parle pas de la version Callas, défigurée par les coupures).

Le rôle titre est un des sommets du belcanto romantique, avec sa scène finale de plus de vingt minutes : Beverly Sills qualifiait d’ailleurs la partition de « test intimidant de virtuosité vocale et d’endurance ».

Une des premières qualités de « Bubbles » est son engagement et son expressivité vocale : pas besoin de l’image pour suivre les états d’âme de la reine déchue, la voix suffit à nous faire partager colère, tristesse ou nostalgie. On pourrait citer de nombreux passages, ainsi les « Giudici… Ad Anna ? » qui transcrivent à merveille d’abord la stupeur puis la montée d’une fureur, qui devient bientôt irrépressible. Les effets ne seront pas au goût de tous (des poitrinages parfois excessifs), mais il faut entendre la prière finale « Cielo, a miei lunghi spasimi » où son chant mezza voce d’une douceur irréelle (la voix semble flotter sans aucun effort) suffit à nous faire comprendre que la reine a déjà renoncé à ce monde.
 
Il ne faudrait pas oublier pour autant qu’Anna Bolena est aussi une authentique belcantiste. Le rôle écrit pour Giuditta Pasta permet à l’interprète de faire montre de sa technique et de sa science du vocabulaire belcantiste. Sur ce terrain Beverly Sills a peu de rivales : abbellimenti originaux et excitants ou canto spianato dépouillé et déchirant, trilles parfaits (voire trilles doubles), suraigus d’une aisance confondante (jusqu’au contre mi bémol, au studio comme en live), c’est un feu d’artifice.

C’est ce cocktail de virtuosité et d’engagement qui rendent l’Anna Bolena de Beverly Sills sans rivale. Aujourd’hui comme hier, difficile de faire mieux.

 


Anna Netrebko

par Christian Peter

Tiré d’un long oubli par Maria Callas qui l’interpréta à la Scala en 1957 dans une mise en scène de Luchino Visconti, l’Anna Bolena de Donizetti est un rôle qui fascine autant qu’il effraie les sopranos belcantistes tant il demande de qualités différentes, difficiles à trouver réunies chez la même cantatrice : une voix agile jusque dans le suraigu, un medium consistant et un grave soutenu ainsi qu’un volume non négligeable pour rendre justice à la scène finale. Après Callas, d’autres chanteuses s’y essayèrent avec plus ou moins de bonheur, citons Leyla Gencer bien sûr, Montserrat Caballé, chahutée à la Scala, Joan Sutherland qui ne l’aborda qu’en fin de carrière et plus récemment Edita Gruberova. Au début des années 70 Beverly Sills s’y risqua à la scène comme au disque mais pour y être convaincante elle dut forcer dangereusement ses moyens et s’inventer un grave qu’elle ne possédait pas.

Enfin en 2011, Anna Netrebko s’empare du personnage à Vienne puis au Metropolitan Opera qui en assure la diffusion dans les cinémas du monde entier, permettant ainsi à des dizaines de milliers de spectateurs d’admirer son incarnation magistrale, tant sur le plan scénique que vocal. Timbre somptueux, voix ample et homogène sur tout la tessiture, couronnée par un aigu insolent, voilà les qualités que « la » Netrebko apporte à son personnage, auxquelles il faut ajouter une large palette de coloris, qui lui permet d’exprimer une gamme infinie d’affects, et une virtuosité surprenante pour une voix de ce calibre. Son air d’entrée « Non v’ha sguardo », délicatement teinté de mélancolie suggère toute la tristesse de la femme délaissée, le second couplet est ornementé sobrement: point n’est besoin ici d’un feu d’artifice de vocalises, c’est d’une reine qu’il s’agit, pas d’un rossignol mécanique. Dans son duo avec Percy, transparaît une sensualité sous-jacente, absente chez la plupart de ses devancières. Enfin le fameux « Giudici ad Anna » est lancé avec un sursaut de fierté mêlé d’effroi et l’ensemble qui conclut le premier acte s’achève sur un contre-ré glorieux, longuement tenu.

Au second acte, sa confrontation avec Seymour est un modèle de sobriété. Face à sa rivale, Netrebko reste digne, son chant conserve une noblesse de ton qui sied à son rang tout en suggérant le profond chagrin qu’éprouve le personnage. Quant à la redoutable scène finale, c’est l’une des plus spectaculaires qu’il nous ait été donné d’entendre. La cantatrice y déploie toutes les facettes de son talent dans un crescendo dramatique subtilement dosé: à la tendresse de « Al dolce guidami » chanté sur un fil de voix et subtilement nuancé, succède la rage avec laquelle elle s’empare de la cabalette finale, « Coppia iniqua », interprétée avec une voix sûre et puissante, un registre grave qu’on ne lui soupçonnait pas et ornée d’impeccables trilles et vocalises, notamment une variation vers l’aigu du plus bel effet sur le mot « tremenda ». Une scène de folie qui nous hante encore longtemps après l’avoir entendue.

 


 

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