Alors qu’il interprète de nouveau le rôle-titre de Simon Boccanegra à Valence, Placido Domingo lève le voile ténu qui sépare les barytons des ténors.
Après avoir été un des plus grands ténors de votre génération, vous chantez à présent des rôles de baryton, quelle est votre véritable identité vocale ?
Je suis un artiste. Le reste importe peu. Soprano, ténor, baryton, hommes, femmes, c’est un débat de genre qui aujourd’hui me semble dépassé. Je laisse vos politiques se quereller autour de la question. Je chante ce que mes cordes vocales me permettent de chanter. Croyez-moi, si j’avais le contre mi bémol, j’ajouterais Traviata à mon répertoire. Ce n’est hélas pas envisageable et, malgré un travail acharné, ça ne le sera jamais. La partition de Carmen, en revanche, ne comporte aucune note que je ne puisse chanter. Il n’est pas dit un jour que je ne me laisserai pas tenter.
Carmen ?
Vous pensez que je ne serais pas crédible en Carmen ?
Disons que vous me semblez l’être davantage en Don José ou en Escamillo…
Aujourd’hui les maquilleurs font des miracles. Regardez les pochettes de disque. Ne me dites pas que tous les chanteurs d’opéra ont des physiques de mannequin. Si l’on est capable de rendre glamour la première soprano venue, alors pourquoi ne pourrait-on pas me transformer en gitane affriolante ?
Soit, mais quel partenaire pour chanter Don José à vos cotés ?
Thomas Hampson.
Un baryton, pas un ténor ?
Il n’y a pas de ténors, il n’y a que des barytons qui s’ignorent.
Et pour Escamillo alors, Jonas Kaufmann ?
Ah non, pas un baryton ! Le rôle est suffisamment ennuyeux comme ça. Il faudrait un interprète qui possède les notes du rôle et qui puisse en même temps exprimer ce mélange unique de machisme exacerbé et de sex-appeal irrésistible.
Ludovic Tezier ?
Ne dites pas de bêtises. Non, Marie-Nicole Lemieux ou, encore plus idéal, Ewa Podles. Elle, au moins, lorsqu’elle chante « Toreador, prends garde », on n’en mène pas large. [Silence]. Vous paraissez circonspect.
Euh… C’est une proposition, disons, originale.
Voilà maintenant plusieurs décennies que les metteurs en scène à l’opéra font la pluie et le beau temps. A force d’interpréter, de réviser, de transposer, ils ont épuisé toutes les idées possibles. Prenez Carmen puisqu’on en parle. On a vu ces dernières années l’opéra de Bizet sous toutes les latitudes et à toutes les époques. C’est à nous maintenant, chanteurs, de reprendre le pouvoir. Si nous voulons maintenir l’opéra vivant, il faut continuer à surprendre. Comment, si ce n’est en bousculant les lois du genre !
Alors, dans ce cas, pour Micaëla, Il faudrait…
Oui, vous m’avez compris, un seul nom s’impose : Philippe Jaroussky.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Christophe Rizoud le 1er avril 2014