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Le feuilleton de l’été : Pastravul, mon amour (ep. 1)

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Feuilleton
15 mai 2013

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Le Feuilleton de l’été : Pastravul, mon amour (ep.1)
par Sylvain Fort et Camille De Rijck

En 2007, Forumopera.com donnait vie dans « Mais qui a tué Gérard Portier » au personnage fictif de Hugues R. Ghall, sommité académique nommée spécial profiler par la police française en charge de résoudre l’empoisonnement au vacherin vitriolé de Gérard Portier, alors directeur de l’Opéra de Paris. Six ans plus tard, notre rédaction ressuscite Hugues R. Ghall et l’envoie promouvoir la Chose Lyrique dans un pays reculé du Caucase.

 
L’académicien des Beaux-Arts Hugues R. Ghall, 72 ans, fraîchement remis de son altercation avec un groupuscule de moules anthropophages (voir épisode précédent), avait sollicité auprès du ministre de la culture une villégiature qui poserait sur ses vieux nerfs durillonnés un baume d’apaisement. Ainsi fut-il nommé Conservateur en chef et maître des cérémonies lacustres du prestigieux domaine de Giverny. Là, vissé dans une ample barque, poussée par des flots au rassurant clapotis, il laissait traîner sa grosse main le long de nymphéas immortalisés jadis par Claude Monet. Le Ministère lui versait chaque mois un important salaire, dont il rétrocédait la moitié à des oeuvres caritatives et dont l’autre moitié était consacrée à son amour de la gastronomie fast-food crustacée.

Hugues R. Ghall, personnage considérable de la vie musicale du siècle dernier, élevé aux plus illustres honneurs de l’appareil républicain, détective à succès qui parvint à démasquer l’assassin de son prédécesseur et rival Gérard Portier – Hugues R. Ghall, avait tourné son ample dos aux honneurs méprisables de la vie publique et vivait aujourd’hui parmi ses poinsettias et ses pseudonarcissus. Seule relique de sa grandeur passée : son goût de la décoration d’intérieur. Alors que ses bureaux de l’Opéra National de Paris étaient un exemple de sobriété fonctionnelle, il avait imaginé pour ses appartements du domaine de Giverny une scénographie Huysmanienne que n’aurait pas désavouée Des Esseintes ; aux murs du cuir de Cordoue qu’il avait tendu lui-même avec l’aide de son assistant Massimo, au sol des tapis rares ramenés de Smyrne par le célèbre critique André Tuboeuf, un guéridon hérité de prince Youssoupof servait de réceptacle à un gigantesque combiné téléphonique, vestige de l’avant guerre, avec un cornet d’écoute et un numéroteur en tourniquet.

Or c’est précisément de cet appareil que la terrible nouvelle arriva. La ministre fraîchement élue était en ligne ; une énarque sinistre qui avait atteint la fonction suprême en enfantant de rapports fastidieux, persillées d’abondantes notes en bas de page, de graphiques abscons et de références à des astrologues de l’époque phénicienne, lesquels servaient aujourd’hui à administrer des coups formidables aux prévenus récalcitrants du Quai des Orfèvres. La ministre, de sa voix d’airain, s’enquit de la santé de notre ami, l’interrogea sur les fonctions qui l’occupaient au domaine de Giverny et – sans attendre la réponse de son interlocuteur – lui asséna ceci : « Monsieur l’Académicien des Beaux-Arts, je viens de m’entretenir avec mon chef de cabinet. Celui-ci a longuement plaidé et je l’ai écouté. Nous sommes arrivés à la conclusion que les fonctions que vous occupez à Giverny sont absolument indignes à la fois de votre prestige et de votre talent. Par le passé, vous avez rendu d’inestimables services à la communauté, d’abord en l’édifiant, ensuite en démasquant un assassin dont les méfaits auraient pu causer un tort considérable à la société des hommes. Il appert, après examen de votre dossier, que vous êtes le candidat idéal pour remplir une mission d’une extrême complexité. Permettez-moi de vous synthétiser cela : nous entretenons avec le royaume du Bouzikhstan des relations tendues. Sa Majesté Torbouligas Ier nous a montré dernièrement des signes d’hostilité sans équivoque, notamment en faisant éviscérer notre ambassadeur en place publique avant de donner ses boyaux à ses chiens dans six gamelles d’or. Le Bouzikhstan nous est particulièrement cher et nous sommes finalement prêts à fermer les yeux sur le regrettable incident précité car il est notre premier importateur de minerais de silicium qui – comme vous le savez – est l’ingrédient de base de la bombe à futrillons. Il est donc crucial de faire plaisir à sa majesté Torbouligas Ier. »

Hugues R. Ghall avala sa salive avec peine – la ministre poursuivit : « Notre ami et allié a récemment été pris, en voyant Natalie Dessay se contorsionner à la télé, de l’envie d’ouvrir un grand opéra dans sa capitale de Pastravul et nous avons pensé, le Président, le Premier Ministre et moi-même que vous étiez l’homme tout désigné pour accomplir ce prodige. Il a donc été décidé à l’unanimité du Conseil des Ministres que vous prendriez la première malle en direction de Pastravul et que vous présideriez à la construction et à l’administration de ce théâtre. Maintenant, je raccroche, car je sens que la joue vous étrangle ». Hugues R. Ghall perdit connaissance et tomba le nez le premier sur son Erard.
 

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