Forum Opéra

Cinq questions à Jules Stockhausen

Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Interview
7 mars 2011

Infos sur l’œuvre

Détails

Miracle de l’édition. La publication de la correspondance de Jules Stockhausen (1826-1906), réunie et annotée par Geneviève Honegger, nous vaut de remonter le temps pour poser cinq questions à ce célèbre baryton, interprète reconnu du lied et de l’oratorio, témoin avisé de son époque et, à ses heures perdues, féroce épistolier.

   

Vous avez étudié dès 1845 le chant à Paris puis à Londres avec Manuel Garcia1 et vous avez donné vous-même des cours de musique avant de décider de devenir chanteur professionnel. Comment s’est opéré le déclic ?

 

En 1848, je perdis comme d’un seul coup de feu toutes mes élèves ; fort découragé et dévoué, comme aujourd’hui, à Garcia, je partis pour Londres. Là le goût de la musique allemande me prit : la voix se fortifiait et cette idée bien ferme que j’avais depuis l’âge de 20 ans de débuter un jour et de devenir un adepte dans l’art dramatique se développa avec la voix. Pischek2, qui m’entendit à Londres, me demanda pourquoi je ne débuterais pas en Allemagne3.

 

L’Allemagne, plus que votre pays natal, la France, semble d’ailleurs votre véritable patrie.

 

Mon père était de Cologne, mais ma mère de Guebwiller en Alsace, ma grand-mère du Tessin, née Gilli. […] Feu mon père devint français par acte de naturalisation en 1842, si je ne me trompe […]. Sans doute, il avait eu d’excellentes raisons pour renoncer à la nationalité allemande, cependant elles ne furent jamais assez péremptoires pour engager même un de ses fils à devenir français. Selon la loi d’alors, nous devions nous déclarer à l’âge de 21 ans, mais ni mes frères, ni moi ne l’avons fait4. Aucun de nous n’a jamais eu de droits politiques. Bref, à l’âge de 21 ans, le jeune artiste en France qui remarquait qu’on se moquait de tout dans son pays natal, même de la religion, renonça à devenir citoyen français. Par respect pour ses parents, il resta vagabond, ce qu’on appelle en Allemagne, heimatlos. En 1864 cependant il fallut pour se marier opter pour une nationalité et je devins citoyen de Hambourg. Quand la guerre nous fut déclarée par la France en juillet 1870, je crus qu’il était temps de déclarer publiquement que toute la famille Stockhausen n’était pas devenue française, que le fils aîné, qui doit sa position et sa réputation à l’Allemagne, n’était pas un ingrat. Je considérais à vrai dire le changement de nationalité de feu mon père comme une tâche pour la famille, native de Rheinbreitbach près Königswinter, et l’Alsace faisant partie de cette belle grande vallée du Rhin, je ne me fis aucun scrupule de me réjouir avec le poète Hackenschmidt de Strasbourg, de ce qu’on y parlât allemand comme au temps où le bras trop faible de l’Autriche ne sut pas nous garantir contre la rapacité du grand roi5.

 

Vous avez pourtant fait vos études en France, à Paris.

 

Je n’oublierai jamais, soyez-en sûrs, ce que je dois aux leçons particulières de déclamation de M. Michelot, aux conseils de M. Régnier de la Comédie-Française, à l’énergie sévère de M. Habeneck, l’inimitable chef d’orchestre. Il était le seul au Conservatoire qui nous initiât aux chefs d’œuvre des grands maîtres. Dans la classe de chant que je fréquentais, nous n’avons jamais connu une note de Scarlatti, de Durante, de Marcello, de Lulli, d’Orlando Lasso, des chefs d’œuvre de l’école flamande et italienne. M. Habeneck seul nous faisait travailler dans les exercices dramatiques des élèves Orphée, Armide de Gluck, Fidelio de Beethoven, Le Mariage de Figaro de Mozart, et tantôt souffleur, tantôt exécutant à l’orchestre (on me trouvait trop peu de voix pour me confier un rôle), je me nourrissais de la musique de nos maîtres. Le dimanche, comme tout le monde, je savourais pour mon argent cette exécution merveilleuse des concerts du Conservatoire. Ce sont des souvenirs aussi ineffaçables que la fièvre que me donna Rachel dans Phèdre, ou que l’impression profonde que me fit Jenny Lind dans Le Messie de Händel6.

 

A quoi tient justement la réputation de Jenny Lind7 ?

 

La réputation de Jenny Lind tient surtout 1° : à ses prestations de chanteuse accomplie en Allemagne (elles ne sont pas si nombreuses dans ce pays) 2° : à sa personne la plus gracieuse et la plus fascinante que j’aie pu voir (bien qu’elle ne soit pas belle)7. Jenny ne marche pas comme les autres, elle vole ; elle ne rit pas comme tout le monde. Son sourire, sa grâce ont quelque chose d’irrésistible ; elle se tient devant le public sans musique ; elle lui parle, elle captive. Il y a autour d’elle un je ne sais quoi qui entraîne ; on applaudit moins la cantatrice que la vertueuse, noble et charitable jeune fille ; on applaudit encore ; on la redemande, on veut la revoir, on veut la voir toujours. Elle crie quelquefois ; son style n’a rien de séduisant ; sa voix n’est qu’extraordinaire dans les notes hautes par leur force et par leur brillant dans les dernières régions – la si do ré mi fa ; elle n’émeut pas mais elle étonne et entraine par sa hardiesse et le charme de sa personne8.

 

Davantage que Pauline Viardot ?

 

Mme Viardot est peut-être encore plus grande artiste mais franchement sa voix est bien désagréable dans les notes hautes. Elle m’a fait de la peine l’autre soir dans La Juive. Elle a le malheur de croire qu’elle peut tout chanter et elle se jette alors sur les belles parties écrites pour Falcon, rôles beaucoup trop élevés pour elle. Son jeu est admirable, et je crois qu’on peut le comparer à celui de la Pasta que l’on nommait la première tragédienne du monde9.

 

Jules Stockausen

Itinéraire d’un chanteur à travers vingt années de correspondance (1844-1864),
Lettres réunies et annotées par Geneviève Honegger
Editions Symétrie, ISBN 978-2-914373-68-5, 440 pages, paru en janvier 2011, 45€

 

Entretien fictif réalisé par Christophe Rizoud

 

1 Manuel Garcia (1805-1906), fils de Manuel Garcia et frère de maria Malibran et Pauline Viardot

2 Johann Baptist Pischek (1814-1873), baryton que Berlioz considérait comme l’un des meilleurs chanteurs de toute l’Europe

3 Lettre à Franz Stockhausen (son père) écrite à Paris le 21 novembre 1854

4 Jules Stockhausen était le deuxième fils d’une famille de neuf enfants mais son frère aîné Adolphe, né en 1823, ne vécut que quelques jours.

5 Lettre écrite près de Stuttgart en 1872 en réponse à un article publié le 27 juin 1872 dans Le Figaro. Cet article signé par un collectif d’artistes français dans un contexte de nationalisme exacerbé (suite à sa défaite contre l’Allemagne, la France venait de céder une partie de l’Alsace-Lorraine) reprochait à Jules Stockhausen sa prise de position ouverte en faveur de Guillaume 1er alors qu’il avait fait ses études à Paris, aux frais du gouvernement français..

6 ibid.

7 Lettre à Franz Stockhausen et Margarethe Schmouck (ses parents) écrite à Liverpool le 20 août 1850

8 Lettre à Henri Stockhausen (son frère) écrite à Liverpool le 24 août 1850

9 Lettre à Franz Stockhausen (son père) écrite à Paris le 21 novembre 1854

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Infos sur l’œuvre

Détails

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Dans les profondeurs du baroque
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Baryton amateur de littérature, Arnaud Marzorati fait revivre avec verve le chanson historique française.
Interview
L’impact des technologies numériques sur le chant lyrique est un sujet à débats qui reflète la rencontre entre la tradition de l’opéra et les innovations technologiques de notre époque.
Actualité
[themoneytizer id="121707-28"]