A l’heure où l’art lyrique en Italie traverse une crise sans précédent, rencontre avec Pier Luigi Pizzi, fameux metteur en scène mais aussi directeur artistique du Sferisterio Opera Festival depuis cinq saisons.
Depuis 60 ans, vous développez dans vos décors et mises en scène une esthétique qui constitue votre image de marque à travers le monde. Vous considérez-vous comme un néo-classique ?
Non, pas vraiment ; je me reconnais dans une sorte de classicisme d’aujourd’hui, lié directement à notre éducation et à notre environnement. C’est dans ce sens que je cherche à toucher pour l’essentiel à une esthétique classique. Mais surtout, à partir du moment où j’ai atteint une épuration esthétique maximum, tous mes efforts se portent à intégrer une éthique culturelle et spirituelle qui soit susceptible d’être comprise et de parler à nos contemporains.
Pour votre cinquième saison à Macerata, vous avez choisi le thème « À la plus grande gloire de Dieu »1 De quelle manière avez-vous abordé le sujet ?
Les trois ouvrages présentés au Sferisterio sont en effet fondés sur le religieux et le spirituel. Mais en même temps, ils utilisent toutes les ficelles du mélodrame, et notamment la confrontation du bien et du mal. Tous conduisent à un final édifiant qui met en valeur la rédemption. Bien évidemment, cela est difficile à comprendre pour le public d’aujourd’hui qui n’a plus du tout les mêmes références que celui du milieu du XIXe siècle. C’est pourquoi j’ai préféré revoir le Faust de Gounod avec la distance qu’impose notre regard actuel, et avec une sorte d’ironie bienveillante. Il n’y a donc pas d’anges chantant les louanges de Marguerite, simplement les voisins qui l’ont connue qui la jugent, mais qui accompagnent le pardon que donne le ciel à sa rédemption en venant déposer des fleurs sur son corps mort, dans un geste final de piété. Nous vivons actuellement des moments difficiles à tous points de vue. Il nous faut défendre pied à pied nos vraies valeurs, les valeurs de l’esprit. Mais en même temps on ne peut cesser de s’interroger sur notre destinée, sur notre rôle sur terre, tout en essayant d’établir des relations avec cette grande inconnue que constitue le « quelque chose » susceptible d’exister après la mort. Toutes les formes de l’art contribuent à cette démarche : il était juste de rappeler que l’art lyrique y participait également depuis longtemps.
Il vous est parfois reproché une programmation élitiste, « difficile » d’accès pour le grand public.
Il est certes plus facile de jouer indéfiniment Aida, Carmen et La Bohème. Mais quel en serait l’intérêt ? Nous fidélisons un public qui a plaisir à découvrir des œuvres plus rarement jouées, en même temps que de revoir des œuvres plus connues défendues par les chanteurs de qualité et par de jeunes espoirs de demain. Rappelons que La Flûte enchantée, opéra qui n’a pas forcément en Italie la notoriété qu’il a en France, a constitué notre record de réservations. Tout est donc question d’équilibre, et il me paraît tout aussi important de faire revivre comme il y a deux ans la Cleopatra de Lauro Rossi, que l’an dernier une œuvre contemporaine, Le Malentendu, deMatteo D’Amico.
Comment se traduit une baisse de près de 70 % des apports publics2 pour un festival tel que celui de Macerata ?
La baisse drastique des financements publics met en effet en question la vie même des théâtres, l’existence de leurs saisons et la pérennité des festivals. Toutefois, la situation du festival de Macerata n’est pas la pire qui soit, grâce au mécénat privé et grâce au soutien de la ville et de la région pour lesquels il constitue, historiquement et culturellement parlant, une manifestation incontournable (créée en 1921, elle en est à sa 46e saison). C’est pourquoi je suis raisonnablement optimiste concernant sa pérennité, tant que le public continuera d’y venir pour y satisfaire ses besoins d’art, de beauté et de culture.
Vous ne pouvez pas encore nous dire quel sera le thème et la programmation de la saison prochaine. Mais quels sont vos projets personnels ?
Les Vêpres siciliennes à Parme, dans le cadre du festival Verdi, et beaucoup d’autres opéras à travers le monde. Mais dans l’immédiat, une exposition en septembre à la galerie Kugel à Paris (25 quai Anatole France), juste avant l’ouverture de la Biennale des Antiquaires, et une autre expositions au Los Angeles County Museum. Pour moi, les expositions, ce sont mes vacances…
Propos recueillis à Macerata le samedi 30 juillet 2010
par Jean-Marcel Humbert
1 Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, Faust de Gounod, La Force du Destin, Les Lombards à la première croisade et Attila de Verdi, et Judith triomphante de Vivaldi. Cette riche programmation est accompagnée d’une douzaine de conférences et également de plusieurs expositions. Malheureusement, la pluie a empêché la représentation de Faust.
2 Le Corriere della Sera (1er août 2010) annonce que l’opéra de Gênes Carlo Felice verra sa saison raccourcie de quatre mois en raison du manque d’argent. La soprano génoise Daniela Dessi renonce à son cachet pour Tosca afin d’aider l’opéra. « Le théâtre est frappé de plein fouet par la crise économique, (…) et est menacé si l’État ne décide pas que la culture et la musique doivent être soutenus. (…) L’opéra est une de nos cartes de visite qui nous donne encore quelque crédit dans le monde. Diminuer les financements destinés au théâtre veut dire tailler à vif dans notre image, dans notre identité ». La soprano ajoute : « Pour le moment, on ne parle que d’économies, de spectacles annulés, de saison réduite. Dans de telles conditions, on ne peut faire aucune programmation sérieuse (…). Si l’on veut sauver notre patrimoine lyrique, il faut unir nos forces ».
© Alfredo Tabocchini