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Edito
4 mai 2015

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Quand j’étais petit, j’aimais déjà bien l’opéra.

Mais mon papa et ma maman n’y allaient jamais. Alors je lisais les journaux où l’on racontait ce qui s’y passait.

C’était la grande époque de la critique d’opéra. Il y en avait plein dans Le Monde et dans Le Figaro. Je crois qu’il y en avait même dans L’Evénement du jeudi. Il y en avait des tonnes dans Le Point et dans L’Express. L’Avant-Scène-Opéra pesait 900 grammes et publiait des photos qu’on n’avait vues nulle part. Des critiques dont j’ignorais tout parlaient d’enregistrements pirates antédiluviens avec une révérence mystérieuse.  Toutes sortes d’artistes qui avaient connu leur heure de gloire dans les années Trente accordaient des interviews, bien calés dans leur fauteuil roulant sous la pergola de la maison de retraite. Lorsqu’on évoquait les heures noires de la Seconde guerre mondiale, ils prenaient un air très grave, mais la nostalgie embuait leur regard. C’était comme ça.

Les metteurs en scène du moment étaient Jean-Pierre Ponnelle, Pier Luigi Pizzi ou Zeffirelli. Leur travail semblait beau et majestueux. On voyait dans les magazines des colonnes bleues et des drapés antiques. Déjà Berlioz en mode péplum excitait les officiels.

Lorsqu’on a fini par aller à l’opéra, quelques années plus tard, les temps avaient changé. Une autre génération avait pris le pouvoir. Et c’était très bien. Jacques Chirac faisait écouter un passage du Marteau sans maître en générique de fin de l’émission « Questions à Domicile », avec Anne Sinclair et Jean-Marie Colombani, qui étaient alors de fringants quadras. Chéreau, Bondy, les Herrmann, Mussbach installaient sur les scènes leur esthétique. Ce qui, dix ans avant, avait fait scandale devenait la meilleure façon de mettre en scène l’opéra. On n’imaginait pas revenir au carton-pâte de papa.  Hans Neuenfels forever.

Bref, nous vécûmes non la naissance mais l’acclimatation à l’opéra du Regietheater. On vécut la fameuse « ère Mortier ».  On s’indignait des provocations, mais on baillait aux corneilles lorsqu’on nous proposait le brouet ordinaire. Les grands coups de pied dans la fourmilière donnés par Haneke, Marthaler, Warlikowski, les chimères de Bill Viola ou Anselm Kieffer ont ouvert nos yeux à d’autres horizons.  Que nous le voulions ou non, nous sommes les enfants de ces iconoclastes qui ont porté l’opéra jusqu’au point de rupture, en ont défait la cohérence factice, en ont dénoncé les artifices pour mieux en célébrer la force. Ce fut, malgré des grincements de dents inévitables, notre chance.

Mais ceux qui aujourd’hui découvrent l’opéra ? Que voient-ils ? Quelle révolution leur offre-t-on ? Avec quoi leur déterge-t-on les yeux et l’esprit ? Evidemment, ceux que Gérard Mortier a forgés poursuivent leur œuvre – Tcherniakov en tête, ou La Fura dela Baus, et tant d’autres. Mais l’on ne peut se défaire du sentiment que rien dans tout cela ne vient réellement trancher, que désormais tout cela déroule sa routine sans rupture franche. Artaud, père de Warlikowski, est aussi celui de Castellucci comme il fut, au théâtre, celui de Sarah Kane. Bref, ça date un peu.

Cela ne vaut pas disqualification, bien entendu. Mais comment se défendre de l’impression qu’un renouvellement est à venir, doit venir, est même indispensable ? Nous vivons certainement les derniers feux du Regietheater comme d’autres avant nous ont vécu les derniers feux du ténor poussant son air à l’avant-scène. Où voit-on poindre ce qui viendra après ? Certainement pas dans le regain des mises en scène conventionnelles, fussent-elles souvent intelligentes et bien faites. Depuis toujours, avant-garde et tradition entretiennent un équilibre finalement assez harmonieux. Mais ce n’est pas la tradition qui nous inquiète. C’est l’avant-garde.

Sourdement, il y a là quelque chose qui s’épuise et qui appelle du nouveau. La dramaturgie contemporaine picore les miettes de son dernier repas. Et comme le répertoire des grandes maisons lui-même recycle à l’infini les mêmes œuvres, affectant de voir en Meyerbeer le choc musical du jour ou de demain, il semble que le renouveau ne soit pas à attendre d’une éclosion d’œuvres nouvelles, qui émergent au compte-goutte. Plus le temps passe, plus ce théâtre qui avait su nous déranger, nous irriter, c’est-à-dire nous faire penser et vivre l’opéra autrement, avoue ses ficelles et ses tics. Nous ne faisons pas partie de ceux qui stigmatisent l’auto-caricature où tomberaient certains avant-gardistes : c’est plutôt l’institutionnalisation de l’avant-garde qui, à l’opéra comme dans d’autres arts, nous préoccupe. L’ennui guette.

La question n’est donc pas de savoir qui est le prochain Sellars ou le futur Marthaler : elle est de savoir qui nous surprendra autant qu’eux mais d’une manière radicalement différente. Nous ne voulons pas d’épigones, nous voulons des révolutionnaires. Les fils de la révolution d’hier sont les bourgeois d’aujourd’hui. Trouvez-nous des sans-culottes, des sanguinaires, et que les têtes de nouveau roulent dans les paniers sous les hourras de  la foule.  

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