Il n’est pas dans mes habitudes de polémiquer, pas plus que de fanfaronner. Ce ne sont pas quelques jeux de massacre verbal de temps en temps et parfois un léger prurit de vantardise qui prouveront le contraire.
Et puis, cette fois-ci, c’est différent. A l’heure où l’économie mondiale pique du nez, à l’heure où les bourses souffrent (puisqu’à force de chuter, elles traînent par terre, ce qui est fort douloureux), à l’heure où le ralentissement planétaire de la croissance et la hausse des prix du saumon de Norvège frappent de plein fouet le petit consommateur dont les SICAV ont périclité à la bourse du Luxembourg, Forum Opéra porte une bonne nouvelle : l’initiative et la créativité existent encore, et c’est elles qui nous sauveront.
Nous n’avons pas fait sonner le tocsin. Par une nuit radieuse de juillet, nous avons enfanté un nouveau site, dont la beauté a sidéré, au petit matin, le lecteur venu comme toujours prélever sa dose d’humeur joviale et de perspicacité lyrique. Tout ce café au lait renversé sur le beau pyjama de lin ocre, la moquette maculée de tartines beurrées, l’ordinateur englué dans un déversement de marmelade fraîche – tout cela n’entama point la danse de joie du lecteur, alleluiah ! alleluiah ! alleluiah !
Blottis dans nos sacs de couchage, au cœur de notre Data Center situé sur le Pic du Midi, nous étudiions exactement au même moment les réactions seconde par seconde de notre lectorat, et le déroulé des programmations conçues spécialement pour notre site par un le professeur Meier, un mélange détonnant de Dorian Gray et de Docteur Mabuse.
Toujours est-il que les difficultés techniques ne tardèrent pas à se manifester. Je dus moi-même, armé d’un canif nain, pénétrer dans le cœur de notre principale chambre de données, infestée de fils à haute tension et de composantes électroniques ultra-sensibles à toute variation de température. Il me fallu retenir mon souffle pendant vingt-cinq ou trente minutes avant de neutraliser la panne. Pendant ce temps, les lecteurs enthousiastes se connectaient à qui mieux mieux, entraînant une surchauffe du Data Center à la limite de l’alerte rouge, que je parvins à éviter en dévissant avec mon gros orteil gauche les surpuissantes turbines de réfrigération, faisant chuter à -36° la température ambiante – heureusement, j’avais mis une petite laine, et le bonnet tricoté par ma défunte grand-mère sur son lit de souffrance (résultat : il y manque le pompon).
Ce n’est que quelques jours après que nous nous fûmes assurés du bon fonctionnement du site que nous pûmes décompresser et donner sur le yacht de Camille De Rijck amarré dans la baie d’Along la réception que nous demandaient tous les tabloïds du monde entier. La party battait son plein et Paris Hilton venait de se jeter à l’eau vêtue seulement d’un string en chaînette d’or lorsque nous nous esquivâmes dans les soutes afin de poursuivre notre laborieuse tâche de mise au point. Les jeunes Thaïlandaises qui réglaient de leurs doigts fins les derniers paramètres du site, oeuvrant pour cela dans une fournaise invraisemblable, une touffeur exotique proprement exténuante les contraignant à une nudité totale, nous lancèrent des sourires aimables et fiers, comme elles seules savent le faire, signalant par là le succès total de notre mutation rapide.
Sur le tarmac de l’aéroport de Genève, descendant de notre Falcon pourtant discrètement garé en bout de piste, nous nous trouvâmes bien vite assaillis par des meutes de lecteurs en délire, de lectrices au bord de l’hystérie nous priant de signer nos noms sur leur front à l’aide d’un cutter, et toute la presse économique nous demandait comment nous avions pu, dans un contexte économique aussi contraire, réaliser un move aussi contre-cyclique. Oh, il fallut toutes les ressources de notre modestie pour répondre à ces questions avec une sincérité teintée certes de satisfaction douce, mais dénuée de la moindre vanité, à l’exception peut-être de ce moment où, à la question, « Vous considérez-vous comme un génie, un pionnier ou un visionnaire ? », Camille De Rijck répondit : « Sans doute les trois, mais pourquoi ne mentionnez-vous pas aussi mon exceptionnel charisme ? ».
Ce nouveau site n’est pas un pari, ni une folie, ni un coup de sang. C’est un investissement stratégique, une pierre angulaire dans le paysage lyrique. A l’heure où tous nos sites amis vivotent et se désagrègent, nous frappons un grand coup, et démontrons une fois de plus notre immense santé, notre proverbiale verdeur, la richesse jamais tarie de notre bon sang épais et rouge. Et nos cris de joie sont rejoints sous la voûte céleste par la fière clameur de nos lecteurs toujours plus nombreux en un immense Te Deum dont les accents profonds et tendres tireraient des larmes à Josef Fritzl.
Sylvain Fort