L’été, on dort mal. La pierre sèche des rues réverbère les sons. L’air brûlant porte loin la rumeur du monde.Assis sur le pont de pierre, écoutant couler le gave, je saisis dans la vibration du vent le cri lointain du chien de la ferme, le bruissement des feuilles, et même, en y prêtant garde, le grincement des herses dans les champs, l� -bas.Et il semble que je pourrais toucher tout cela, palper ces traces sonores comme sous mes doigts je sens la pierre rugueuse et la page granulée d’un vieux livre. Ainsi voudrais-je, en ces jours � tous préférés, la musique.Elle aussi, sensible immédiatement, et découpée dans le silence massif des journées d’août. Défaite des rituels et de l’empois, offerte � la seule saveur un peu amère – comme sel sur la langue – d’une naissance presque improvisée.Quelques souvenirs. Telle chanteuse, se croyant seule sous les hauts plafonds d’un castello ombrien, dans le matin éclatant de Gubbio, et chantant pour éveiller sa voix, chantant pour le monde ensommeillé, l’Eurydice que le soir même elle donnerait en concert. Le violon aigre de cette musicienne subtile, entendu en passant par les chemins de la Drôme, et offrant Geminiani aux coteaux jaunis, pour le soir se fondre docilement dans un ensemble où son timbre ne se reconnaîtrait plus. Ce piano enfin, au premier étage d’une demeure bourgeoise, dans une ruelle d’Orange, quand tout dormait dans la ville, au plus fort de la chaleur, égrenant comme modestement une sonate de Haydn avant que, la fraîcheur du soir venue, les cuivres éclatants de Verdi n’assourdissent l’espace.Rendus par l’été plus présents � notre corps, nous avons aussi besoin des exutoires de la musique et du chant. Ce n’est plus pour nous, pour notre consolation, mais pour notre exultation que nous avons besoin de cette musique : et la moindre note, lancée dans la fournaise, nous revient plus brillante et plus dense qu’en toute autre saison.Aussi nous faut-il moins les grandes orgues de l’opéra et les orchestres symphoniques. Cette année, plus que jamais, nous chercherons les musiques rares, discrètes, celles qui savent répondre par leur intensité � l’embrasement des jours. Nous nous chanterons, en promenade parmi les pommiers chargés ou les blés mûrs, de simples ritournelles ou quelque eggiadra rosa.Peut-être notre voisine, ayant enfin rénové son clavecin, s’y essaiera-t-elle aux Scarlatti qu’elle nous promit l’an passé ; et lorsque les essercizi se mêleront au lent halètement des pavages et de la fontaine, des roses et des tuiles sombres, alors ce sera pour nous le festival le plus rare, et le plus brûlant. En voiture, Simone.
Sylvain Fort
Editoraliste