C’est sans doute la meilleure affaire de cette fin d’année, une aubaine pour les étrennes : les trois opéras de Mozart / Da Ponte, Cosi fan tutte, Don Giovanni et Les Noces de Figaro, proposés à petit prix, avec des distributions souvent proches de l’idéal.
Le label Accent avait déjà republié ces gravures, il y a une quinzaine d’années, sous une couverture dont l’austérité n’avait pas dû contribuer à la large diffusion qu’eussent méritée les interprètes.
On est heureux de retrouver cette trilogie dans sa parure d’origine.
D’autant plus que ce coffret fait figure de glorieuse exception dans la carrière et la discographie de Sigiswald Kuijken et de sa Petite Bande.
Le violoniste né à Dilbeek (Bruxelles), 79 ans dans quelques jours, professeur de violon baroque aux conservatoiires de La Haye et Bruxelles, de 1971 à 2006, fonde en 1979 avec Gustav Leonhardt La Petite Bande (relevant le nom d’un ensemble constitué par Lully). Ensemble ils vont jouer et enregistrer une impressionnante collection d’œuvres instrumentales de la période baroque, et parfois aborder du répertoire contemporain. Mais l’opéra y tient une place résiduelle : sauf erreur de notre part, Zoroastre de Rameau, Partenope de Haendel, et la Flûte enchantée en plus des trois Mozart/Da Ponte.
Précisons que ce sont trois prises de concert, captées d’ailleurs bien loin de Belgique. L’histoire ne dit pas s’il y a eu des « retouches » avant publication – ce qui arrive souvent lorsqu’on fait un enregistrement « live » destiné au disque. Les publics sont discrets et on n’a pas relevé d’accident industriel notable chez les interprètes !
Cosi fan tutte
Chronologiquement c’est la première des captations, réalisée le 7 octobre 1992 dans la magnifique salle de concert du conservatoire Franz Liszt de Budapest. C’est aussi – et de loin – la plus réussie !
D’abord du fait du chef, qui paraît bien prudent et peu engagé dramatiquement dans Don Giovanni surtout : ici avec Sigiswald Kuijken tout est vie, théâtre, urgence, mais aussi tendresse et ironie. Il dispose il est vrai d’un des plus beaux trios féminins de la discographie, en particulier les deux sœurs parfaitement appariées, Soile Isokoski et Monica Groop, et la délicieuse Despina de Nancy Argenta, toutes les trois dans leur glorieuse trentaine. Seul point commun aux trois opéras, le Néerlandais Huub Claessens – artiste multi-facettes s’il en est, excellent saxophoniste ! – compose, malgré son jeune âge de l’époque, un savoureux Don Alfonso. On aime un peu moins le barytonnant Guglielmo de Per Vollestad, quant à Markus Schäfer ici comme dans Don Giovanni il donne toujours l’impression de chanter du Bach ! Prise de son d’une clarté et d’une transparence remarquable.
Don Giovanni
Trois ans plus tard, le 20 octobre 1995, c’est à l’Auditorium de Galice de Saint-Jacques de Compostelle – l’une de ces fantastiques salles de concert qui ont éclos partout en Espagne dans la décennie 1990-2000 et dont beaucoup sont aujourd’hui fermées faute de moyens pour les faire fonctionner ! – que Kuijken et sa Petite Bande donnent Don Giovanni.
Dès l’ouverture, on sent que le théâtre ne sera pas au rendez-vous. Le contraste avec le Cosi de Budapest est net. Comme telle, cette version de concert n’est pas désagréable à écouter, mais plus d’une fois on se dit que certaines interventions ne passeraient pas sur scène. C’est particulièrement vrai des jolies voix d’Elena Vink (Anna) et Christina Högmann (Elvira) à qui manquent la furie, la colère, l’indignation de leurs rôles.
Les habitués des scènes lyriques belges – et les autres ! – retrouveront avec plaisir Werner Van Mechelen qui depuis sa demi-finale au concours Reine Elisabeth en 1988, a incarné à peu près tous les grands rôles de baryton. C’est à l’époque un fringant Don Giovanni qui forme avec le Leporello d’Huub Claessens un formidable duo maître/serviteur.
Sigiswald Kuijken a bien fait de garder de son équipe de Cosi la pétulante Nancy Argenta en Zerline.
Quel dommage que tout cela soit si ramplanplan ! Surtout au pays de naissance de Don Juan !
Les Noces de Figaro
C’est toujours en Espagne, cette fois au Palais des congrès et des concerts de La Corogne, toujours en Galice, en juin 1998 (Séville était trop loin ?) qu’on retrouve toute la bande de Kuijken. Cette fois Werner van Mechelen est Figaro, Huub Claessens Almaviva (on aurait aisément pu imaginer le contraire), Harry van der Kamp est passé du Commandeur à Bartolo. Le changement c’est chez les femmes qu’il faut le chercher : la Dorabella du Cosi de Budapest, Monica Groop, est logiquement un magnifique Cherubino, Christiane Oelze compose une Susanna toute d’adresse et d’espièglerie, au service d’une Comtesse (Patrizia Biccirè) bien timide et introvertie. Tous les autres rôles sont tenus par la crème du chant belge, dont la propre fille du violoniste/chef, Marie Kuijken, une très touchante Barbarina.
Même si c’est moins systématique que dans Don Giovanni, Kuijken peine à se montrer pleinement chef de théâtre, à restituer les multiples épisodes de cette « folle journée », même si les ensembles sont plutôt réussis.
Au total une somme qui n’est pas indispensable mais qui vaut d’être écoutée pour la qualité des distributions réunies et qui constitue un bel hommage à l’un des pionniers de l’interprétation « historiquement informée ».