Les hommages rendus par leurs condisciples aux universitaires sont plus rares en France que dans le monde anglo-saxon, où ils constituent une sorte de tradition obligée. Pour ses 75 ans, ou à une occasion comparable, chaque professeur, ou presque, a droit à son Festchrift, ou encore Essays in honor of X, où sont rassemblées des contributions générées par son enseignement. Publiés en France sous des intitulés variés (Mélanges, hommage, ou encore nantis d’un titre spécifique), ce sont une mine d’informations plus pertinentes les unes que les autres, car chacun des auteurs a mis le meilleur de lui-même dans sa contribution.
On doit tout à nos professeurs. C’est la loi du genre : l’objet du présent volume est un témoignage de gratitude d’anciens étudiants à leur mentor, Danièle Pistone, dont ils ont pris le relais. Depuis ce qui fut l’Institut de Musicologie, hébergé rue Michelet avant de retrouver la rue Victor Cousin, j’eus le privilège de compter parmi ses tout premiers étudiants. Découvrir plus de cinquante ans après combien toute son existence a été vouée à la musique, tout particulièrement française, avec une ouverture disciplinaire qu’avait initiée Jacques Chailley, est un moment d’émotion.
Si aucune des dix-neuf contributions n’est dépourvue d’intérêt, l’amateur de chant et de théâtre lyrique retiendra plus particulièrement les travaux suivants (dans l’ordre de leur publication) :
- Les configurations harmoniques et tonales d’I Puritani de Vincenzo Bellini et l’horizon d’attente du public parisien en 1835 (de Jean-Pierre Bartoli). L’étude détaillée des configurations harmoniques des Puritains, dont le triomphe fut exceptionnel, est d’autant plus intéressante que la musicologie anglo-saxonne, dédaigneuse du monde latin, a focalisé le regard sur les productions germaniques du temps,.
- La création du Ring en allemand à Paris (1929) : enjeux esthétiques politiques et économiques (de Gilles Demonet). Ce fut un événement. En un peu plus de trente pages, l’auteur en décrypte les conditions, après la première intégrale (en français) de 1911, mais aussi les enjeux et les réactions. Passionnante plongée dans le Paris d’il y aura bientôt un siècle.
- Jazz et chanson : des connexions à explorer. Catherine Rudent met en valeur les relations complexes entre les deux genres depuis les années 20 jusqu’à la fin du siècle. Réflexion fructueuse qui devrait inciter à approfondir la recherche en ce domaine.
- Dans l’ombre de son frère : Julie Massenet (1832-1905), artiste peintre et musicienne. Le coup de projecteur de Jean Christophe Branger sur la sœur de dix ans plus âgée que Massenet, est bienvenu. Figure discrète et sensible, disparue quelques jours avant la création de Manon, elle était non seulement peintre, mais aussi musicienne, excellente pianiste, et nous laisse quelques pièces non négligeables.
Certes ces contributions, pointues, s’adressent avant tout à un public de chercheurs ou de curieux avertis. Leur densité, leur érudition appellent une attention soutenue, mais la récompense est le plus souvent au rendez-vous : le lecteur en sort réjoui, heureux d’avoir enrichi ou amendé ses connaissances, découvert des perspectives insoupçonnées.
Evidemment, l’ouvrage s’achève sur un « curricumum vitae » de Danièle Pistone, dont la richesse du parcours et l’abondance des publications sont exceptionnelles. A cet égard, il ne faut pas moins de trente pages pour énumérer l’ensemble de ses écrits, et l’on y découvre bien des intitulés prometteurs (avec les liens lorsqu’ils sont consultables en ligne).