On connaît peu l’œuvre vocale de Liszt. Il faut dire aussi qu’il a peu composé pour la voix. Lui, l’adorateur de Wagner, son ami de toujours, et dont il était l’indéfectible prosélyte. Lui qui dirigeait ses opéras à Weimar, devenue l’enclave de cette musique de l’avenir qu’il a cherché toute sa vie à sculpter. Lui qui s’est éteint sur les terres de la Colline sacrée et dont le dernier mot, lâché dans un murmure, fut « Tristan »… Jamais il n’a composé d’opéra. Tout juste un Don Sanche ou le Château d’amour à quatorze ans, sans doute un exercice de style comme il en existait de nombreux dans les conservatoires (où il n’étudia cependant pas). Pas d’opéras, mais quelques œuvres sacrées, composées non sans un certain élan de mysticisme, comme la messe de Gran, et tournées vers l’avenir encore, avec ce qu’il y a d’audace harmonique. Et puis il y a les mélodies, elles-mêmes rarement enregistrées, auxquelles le label Hypérion consacre ici son quatrième volume.
Les lieder et chansons choisis pour cet enregistrement ont occupé une période assez vaste de la vie du compositeur – de 1842 à 1880, quoique composés par intermittence. Et malgré cet empan diachronique large, l’écoute de l’album donne le sentiment d’une incroyable unité, comme s’il s’agissait du début à la fin d’un seul et même lied sujet à quelques variations – de ton, d’humeur, de registre. Plus surprenant encore, en regard de l’œuvre très virtuose de Liszt, est le dépouillement, l’intériorité calme et profonde de ses lieder tardifs. Trois ou quatre notes suffisent parfois, itératives, hantées et entêtantes, avec une succession de noires pour seul rythme, et la voix, perdue dans le silence quand l’accompagnement se tait (« Des Tages laute Stimmen schweigen », « Verlassen » ou encore « Einst ») ou achève un accord suspendu. « Ver nie sein », superbe, très sombre, a déjà quelque chose de straussien quand « Die Loreley » ou « Mignons Lied » tranchent dans la cérébralité par un romantisme solaire et candide.
Succédant au baryton Gerald Finley, interprète du troisième volume de cette collection, la mezzo-soprano Sasha Cooke ne manque pas d’atouts. La voix est belle, légèrement voilée, ce qui lui confère un charme certain. Son medium est généreux, sonnant, et les aigus du haut-medium demeurent riches et pleins. La phrase est conduite, avec un beau legato et une tendance à détimbrer quelquefois, qui n’est pas désagréable ou hors de propos. Mais la nuance manque encore : si simple soit le lied lisztien, beaucoup de choses sont écrites, et le spectre des nuances pourrait être affiné pour donner plus de vie encore à la partition. Un tic enfin, le portando, cette figure de style musicale que la mezzo-soprano dissémine un peu partout, donnant un tour sensuel à la poésie des mots, pas toujours justifié, loin s’en faut. Ainsi « Mignons Lied » prend des accents de cabaret que l’on devine assez éloignés de l’intention du compositeur. Mais l’on apprécie la verve insolente qui habite Sasha Cooke dans son interprétation de « Il m’aimait tant ! », malgré un français encore perfectible. A noter enfin le don assez rare avec lequel le pianiste Julius Drake sait dialoguer avec la cantatrice jusque dans les silences expressifs de la partition.
Note explicative en français mais traduction des textes en anglais uniquement.