Rétablissons d’emblée une vérité souvent oubliée, puisque tel semble être l’objectif premier du nouvel ouvrage de Pascal Blanchet : ce n’est pas Jacques Offenbach qui a inventé l’opérette mais Louis-Auguste-Florimond Ronger, dit Hervé (1825-1892). Toute sa vie, ce compositeur aujourd’hui encore méconnu batailla pour convaincre de son talent ses contemporains – surtout les directeurs des grandes maisons d’opéra – alors que son prétendu rival – mais néanmoins ami – flirtait avec le succès (sans parvenir cependant à s’imposer davantage sur les scènes lyriques parisiennes les plus institutionnelles).
Nul n’étant prophète en son pays, c’est à Londres qu’Hervé trouva la reconnaissance refusée par Paris avant d’achever sa vie en France, poursuivant de ses assiduités le nouveau directeur de l’Opéra, Eugène Bertrand (1834-1899). Triste vie, entachée en 1856 d’une sordide affaire de pédophilie, ponctuée de dettes, d’échecs, de désillusions, de requêtes infructueuses. Telle est du moins l’amère image que renvoient les documents assemblés par Pascal Blanchet.
Confronté à la difficile tâche de se pencher sur le cas du « père de l’opérette », le musicologue n’a pas voulu entreprendre une nouvelle biographie qui se serait ajoutée – vainement ? – aux trois existantes* mais a préféré compiler chronologiquement une série de textes, la plupart de la main d’Hervé lui-même. Lettres plaintives, vindicatives ou réquisitoriales, extraits de livrets d’opérettes, d’articles et même compte rendu d’audience (utilisé pour évoquer le détournement de mineur dont le compositeur fut accusé) retracent un parcours que l’on suit d’un œil distrait, tant ces différents témoignages, sortis de leur contexte et parfois tronqués, présentent un intérêt limité. D’un chapitre à l’autre, l’auteur donne succinctement les informations nécessaires à la compréhension des archives reproduites. En guise d’annexe, ni repères biographiques, ni liste des compositions, ni discographie, ni bibliographie qui pourraient inciter à poursuivre la découverte mais une chronologie comparée des carrières d’Hervé et d’Offenbach comme pour attiser la supposée rivalité entre les deux compositeurs.
« Que restera-t-il au lecteur une fois qu’il aura parcouru ces pages ? », interroge l’auteur, à la fin d’un long préambule qui est sans doute la partie la plus instructive de l’ouvrage. « La sensation de mieux connaître Hervé » ? Non pas forcément. Mais « le désir d’entendre sa musique » ? Oui, ne serait-ce que pour chasser la sinistre impression laissée par ces textes saumâtres. Et ça tombe bien puisque le Palazzetto Bru Zane, co-éditeur de ce volume, entreprend cette saison l’exhumation scénique dans une dizaine de villes de France, des Chevaliers de la Table ronde, opéra-bouffe en trois actes créé le 17 novembre 1866 aux Bouffes-Parisiens, théâtre fondé par… Jacques Offenbach.
* Louis Schneider, Hervé, Charles Lecocq, coll. « Les Maîtres de l’opérette française », librairie académique Perrin et Cie, 1924
Renée Cariven-Galharet et Dominique Ghesquiere, Hervé, un musicien paradoxal, Paris, éd. des Cendres, 1992.
Jacques Rouchouse, Hervé, le père de l’opérette – 50 ans de Folies parisiennes, préface de Jacques Martin, éd. Michel de Maule, 1994.