Un Don Juan qui, sur les conseils de l’Esprit du Ciel, se repent dès la première scène, qui se marie à la deuxième, qui devient veuf trois mois plus tard, entre au couvent, devient un prédicateur reconnu, accomplit un miracle et qui, parvenu au terme de sa vie, résiste une dernière fois à la tentation qu’incarne l’Esprit de la Terre : voilà qui n’est finalement pas si éloigné du climat de mysticisme d’un autre opéra auquel le Don Juan de Mañara du compositeur marseillais Henri Tomasi a souvent été comparé, Dialogues des carmélites. Et passé les premières secondes d’une ouverture qu’on pourra juger un peu clinquante (seul moment où le son de l’enregistrement soit un peu défaillant, par ailleurs), l’écriture de Tomasi n’a pas à rougir de la comparaison avec Poulenc, et l’on aimerait revoir un jour cette œuvre en scène.
Une fois ce premier point acquis, que penser de ce qui a d’abord l’air d’une fort obscure curiosité : Don Juan de Mañara, certes dirigé par André Cluytens, mais chanté en allemand ? Eh oui, et pour une très bonne raison : il s’agit là de la création mondiale scénique de l’œuvre ! Après la guerre, la partition composée de 1942 à 1944 ayant été acceptée, le Palais Garnier aurait dû s’en charger mais ne tint jamais sa promesse. Une première exécution en concert eut lieu en 1952 au Théâtre des Champs-Elysées, suivie d’une seconde en 1958 (un enregistrement existe des deux soirées, l’une avec Raoul Jobin dans le rôle principale, l’autre, avec Jacques Bouet). C’est seulement en 1967, à Mulhouse, que l’œuvre serait montée dans une maison d’opéra française ; plus récemment, on a pu la retrouver à Nantes en 1984, et en 1988 à Marseille. Mais pour voir le jour dans un théâtre, ce Don Juan-là avait dû attendre mars 1956 et une traduction allemande, car c’est au Prinzeregententheater de Munich qu’il fut créé, avec quelques artistes dont le nom ne nous est plus guère familier, mais qui étaient loin d’être de seconds couteaux.
Dans un très petit rôle, on entend ici Paul Kuën, le Mime de sa génération. Josef Metternich et Kieth Engen devaient participer l’année suivante, à Munich, à la création de Die Harmonie der Welt, de Hindemith. Grande wagnérienne et straussienne (Chrysothémis, Maréchale, Teinturière…), Marianne Schech est un Esprit du Ciel pénétré de sa mission rédemptrice. Dans les années 1950, Magda Gabory-Kondor s’était fait une spécialité des rôles de jeunes innocentes à la voix cristalline (elle fut notamment l’Amour dans Orfeo ed Euridice dirigé par Furtwängler à La Scala en 1951), ce qui faisait d’elle la titulaire désignée pour la pure Girolama. Siegfried à Bayreuth de 1951 à 1957, Bernd Aldenhoff était selon Hans Knappertbusch « le heldenténor le plus humain », mais fut fauché en pleine carrière – à 51 ans – par une intoxication alimentaire, en 1959. Trois ans avant sa mort, il prête beaucoup de panache à un personnage tourmenté, dont le sincère désir de rédemption se heurte à toutes sortes d’obstacles. Et l’on remerciera le label Myto d’avoir ajouté sur le deuxième CD de ce coffret un certain nombre d’extraits d’opéra enregistrés par le ténor entre 1948 et 1951 : évidemment tout est chanté en allemand, comme c’était alors la règle, mais de la part d’un artiste capable de conférer aux mots tout leur poids dramatique, on accepte ce qui pourrait passer pour une aberration (« Dio, mi potevi scagliar », « Niun mi tema » ou le final d’Aida en allemand).