Depuis peu, la cantate Orphée de Rameau connaît décidément une grande popularité au disque. La soprano coréenne Sunhae Im l’avait assez logiquement incluse dans son récital Orfeo, et Mathias Vidal l’avait enregistré avec Le Berger fidèle pour un CD consacré à Rameau avec l’ensemble Amarillis. Et voilà que, pour son premier disque en solo, Hasnaa Bennani retient à son tour cette pièce, composée en 1721, soit bien avant les premiers pas du Dijonnais sur les planches de l’opéra. Une cantate n’est pas une tragédie lyrique, cela va de soi, mais même pour ce genre de partition destinée à un cadre plus intime, on est en droit d’attendre une certaine théâtralisation de la musique. Il est vrai que le texte en est assez étrange : la narration y laisse parler les riants Amours, puis Orphée lui-même, avant de conclure par un « Air gai » qui fait la morale aux amants trop pressés, dont l’impatience gâte tout. On est loin de l’intensité des affects exprimés par Phèdre ou Télaïre… Si Sunhae Im était disqualifiée d’emblée par un timbre trop pointu, Mathias Vidal avait su trouver le juste équilibre, là où Hasnaa Bennani semble un peu trop sur sa réserve.
La soprano possède d’immenses qualités qu’on a eu l’occasion d’admirer à maintes reprises, en concert ou dans des productions scéniques. Jusqu’ici, cependant, à part peut-être dans Amadis de Lully, ce sont surtout des personnages épisodiques qui lui ont été confiés, des apparitions ponctuelles : Amour dans le récent Zaïs du même Rameau, une nymphe dans Armide à Nancy… Ceci expliquerait-il cela ? L’expérience d’un vrai rôle dramatique lui permettra peut-être prochainement d’affirmer une présence plus marquante, d’aller au-delà de la pure beauté de son timbre et de l’élégance de son phrasé pour animer tout cela.
D’ailleurs, Hasnaa Bennani montre qu’elle peut fort bien dépasser l’aimable pour proposer plus de substance : la cantate Ariane est servie par une actrice bien plus éloquente, qui donne envie de mieux connaître ce Philippe Courbois dont on sait hélas fort peu de choses. Ce compositeur actif entre 1710 et 1730 fit jouer des motets et publia quelques cantates, dont cette Ariane jadis enregistrée par Agnès Mellon. La plainte et la colère de l’héroïne abandonnée à Naxos conviennent peut-être mieux à la chanteuse, la musique de Courbois laisse peut-être plus de place à l’émotion, toujours est-il que cette deuxième cantate du disque retient bien davantage l’attention. Dans la même veine, l’air de cour « Ombre de mon amant » est assez réussi, lui aussi.
L’ensemble Stravaganza s’est réservé pour lui seul une sonate d’Elisabeth Jacquet de La Guerre, et conclut le disque sur une chaconne de Marin Marais. Des instrumentistes on pourrait dire la même chose que de la soprano : malgré leur nom, et malgré les jolies couleurs dont ils sont capables, il y a bien peu d’extravagance dans leur jeu, qui pratique le même art un peu trop plein de réserve et de retenue.