L’affiche est alléchante : le meilleur orchestre du monde, son chœur attitré, le chef le plus excitant de sa génération, et une œuvre d’une profondeur insondable, où chaque artiste peut apporter sa vision et contribuer à enrichir une discographie pléthorique, mais qui est loin d’avoir épuisé le sujet. Pourtant, à l’issue de l’écoute, la déception est palpable. Comme on est loin de ce que l’on attendait ! La faute en revient d’abord à une prise de son inadaptée. Réalisée beaucoup trop bas (on peine à entendre les premières mesures de l’œuvre), elle souffre de confusion dans les différents plans, ne permet pas de détailler la riche matière instrumentale, et diminue l’impact des forte. Le 6e mouvement souffre particulièrement de ce rabotage, avec un tableau du jugement dernier qui se transforme en une aimable pastorale. Un contresens absolu. Est-ce parce que les ingénieurs du son n’étaient pas satisfaits de leur travail que ces bandes ont dormi trois ans dans les archives du Concertgebouw ? Ce n’est pas impossible…
Le chœur de la radio néerlandaise est également problématique : quelques problèmes d’homogénéité dans le 1er mouvement, ce qui serait certes véniel si la suite de l’interprétation n’était marquée par une trop grande prudence, un manque d’engagement. Quand on sait que les concurrents dans cette œuvre ont nom Collegium Vocale, Monteverdi Choir ou Accentus, c’est trop peu pour s’imposer. Rien d’indigne ou de mal répété, mais une masse de chanteurs trop importante, trop lourde, qui empêche d’aller jusqu’au bout des fugues avec aisance. On est trop dans une esthétique chorale victorienne, qui ne tient plus la rampe à l’heure actuelle, où nos oreilles veulent jouir de chaque détail d’écriture.
Pourtant, la conception de Mariss Jansons intéresse, voire captive. Contrairement à ce qu’on attendait d’un chef réputé sanguin, il fait le choix d’un Requiem apaisé, contemplatif, presque agreste, où toute peur de la mort a disparu et où ne reste que la consolation ; un choix pleinement justifiable dans une œuvre où le mot « Trost » abonde. Cela résulte en tempi larges, en grandes arches où le lyrisme se déploie avec ivresse. Un « Wie lieblich sind deine Wohnungen » d’anthologie et une transition très habilement menée entre le récitatif et la fugue dans le troisième mouvement ne parviennent pas à faire oublier le défaut majeur : une absence de tension et de dramatisme qui confine parfois à l’ennui. L’orchestre est fidèle à sa réputation, avec des attaques impeccables, et une sonorité d’ensemble à la fois fondue et détaillée, mais la prise de son minore ces qualités. Il en va de même pour les solistes : la délicieuse Genia Kühmeier semble chanter depuis le fond d’une piscine, alors que le très professionnel Gerald Finley est tellement mal capté que certains de ses graves échappent purement et simplement au micro. Un CD qui est finalement une somme d’occasion manquées. Mariss Jansons nous doit une revanche !