Le label Dynamic a choisi de publier simultanément en CD et en DVD ce Farnace donné à Florence en 2013. Lequel des deux supports faut-il donc acheter ? C’est vous qui voyez. Mais si vous achetez le DVD, vous ne verrez en réalité pas grand-chose. Sans pour autant être présenté comme une mise en espace, le « spectacle » ici capté relève d’un certain minimalisme qui ressemble fort à un aveu d’impuissance. La différence par rapport à une version de concert est d’autant moins flagrante que, sans doute par un souci de distanciation, Marco Gandini a choisi de planter les chanteurs devant un pupitre chaque fois qu’ils doivent interpréter une aria : l’action s’arrête et le chant prend le dessus. Durant les récitatifs, en revanche, il les fait évoluer à travers un décor reflétant diverses influences : entassement hétéroclite de structures métalliques en fond de scène, mais n’est pas George Tsypin qui veut ; éléments mobiles ornés de néons, mais n’est pas Pierre-André Weitz qui veut ; quelques fragments d’architecture classique, mais n’est pas Pierluigi Pizzi qui veut. Cela n’est pas laid, mais ça n’apporte à peu près rien à l’œuvre. Quant aux vidéos, on s’interroge encore sur l’identité de ces visages masculins qui occupent tout le fond du décor pendant certains airs. Même les costumes, à part la cotte de mailles de Farnace et la cuirasse de Gilade, ne se distinguent pas très nettement des tenues de soirée que pourraient revêtir les artistes pour un concert. Autrement dit, un DVD pour rien, une fois de plus : que n’a-t-on plutôt filmé la belle production réglée par Lucinda Childs pour l’Opéra du Rhin il y a deux ans ? Certains des chanteurs valent d’être vus, mais on aurait préféré les voir se consacrer à l’interprétation proprement théâtrale de leur rôle.
Compte tenu du peu qu’il y a donc à voir, le CD suffira peut-être. La concurrence existe, même si la version dirigée par Jordi Savall est un peu hors concours, avec son héros confié à une basse. Si l’on s’en tient à l’autre enregistrement qui utilise le même état de la partition (celle que Vivaldi établit pour Ferrare en 1738, en vue de représentations finalement jamais données), les différences sont réelles, à commencer par Farnace lui-même. Berenice dans l’intégrale dirigée par Diego Fasolis, Mary-Ellen Nesi reprend à Max-Emanuel Cencic le rôle-titre et impose un chant admirablement maîtrisé, porteur d’une véritable émotion. Ce personnage qui s’exprime surtout dans le registre de la douleur et de la douceur lui correspondrait-il mieux que les viragos qui lui ont parfois été confiées ? A l’inverse, habituée aux rôles travestis (elle était en 2001 Pompeo pour Jordi Savall), Sonia Prina paraît trop convenue dans son affliction de mère à qui l’on demande de sacrifier son enfant, mais se révèle totalement convaincante dans les airs où elle déploie son orgueil de reine (« Or di Roma forti eroi »), ce côté plus « couillu » étant apparemment devenu comme une seconde nature pour elle. Sa mère Berenice échoit à une Delphine Galou elle aussi spécialisée dans ce répertoire, grâce aux couleurs sombres de son timbre et grâce à sa virtuosité, même si la voix semble parfois excessivement couverte. Roberta Mameli fait vivre Gilade par une déclamation admirable de mordant et par une agilité jamais prise en défaut (on goûte en particulier son air « Quell’usignolo »). Jolie découverte avec Loriana Castellano, à la voix chaude. Des deux ténors qui complètent la distribution, Magnus Staveland marque davantage les esprits, même s’il n’exploite pas toutes les ressources du personnage souvent comique d’Aquilio. Emanuel D’Aguanno s’acquitte proprement de ses deux airs vaillants, mais reste un Pompeo assez pâle.
Heureusement, Federico Maria Sardelli sait imposer aux instrumentistes un dynamisme apte à animer cette musique qui, faute d’un chef aussi engagé, pourrait parfois avoir du mal à captiver l’oreille, surtout avec un orchestre moderne comme celui du Mai musical florentin. Dans les airs rapides ou allègres, tout se passe plutôt bien, mais les cordes ne sonnent pas toujours très justes dans les mouvements lents.
Autrement dit, c’est vous qui voyez, mais le CD sera peut-être préférable au DVD. Malgré tout, avec 40 minutes de moins que pour l’intégrale parue chez Erato (deux CD au lieu de trois), on n’a pas lésiné sur les coupes (ou l’on s’est contenté de la partition que Vivaldi avait eu le temps de réviser), et la représentation se termine sur l’air de Farnace, « Gelido in ogni vena », qui est certes un sommet de la création vivaldienne, mais c’est se soucier comme d’une guigne de l’intérêt dramatique, qui n’y trouve pas vraiment son compte.