Comme Joseph Calleja, José Carreras fut converti à l’opéra par le film The Great Caruso avec Mario Lanza. Lien de cause à effet, comme le ténor maltais, il enregistra – à plusieurs reprises d’ailleurs – des mélodies, le plus souvent napolitaines, popularisées pour certaines par le cinéma : « O sole mio », « Non ti scordar di me », « Be my love », « Funiculi, funicula », etc. On les retrouve toutes ou presque dans le report numérique par Decca de deux albums – dont un pour la première fois – enregistrés en 1978 puis 1980 à Watford. Dans les deux cas, le chanteur est accompagné par l’English Chamber Orchestra mais c’est Roberto Benzi qui dirige les dix premiers titres, quand les treize suivants sont confiés à Edoardo Miller. Le changement de baguette n’est évidemment pas anodin. L’hyperglycémie musicale désavantage le premier au profit du second qui, par comparaison, propose de ces chansons sirupeuses une interprétation à la sentimentalité moins sucrée.
A la fin des années 1970, José Carreras est encore au mieux de sa forme. La leucémie qui le contraindra en 1987 à interrompre sa carrière, et dont heureusement il triomphera, n’est pas encore déclarée. Surtout, les Cavaradossi (Tosca), Riccardo (Un ballo in maschera), Maurizio (Adriana Lecouvreur) et autres rôles dramatiques abordés prématurément, au mépris de sa vocalité naturelle, n’ont pas causé de dommages irréparables. La fougue est perceptible par l’ardeur généreuse avec laquelle le ténor étreint chacune de ses mélodies mais, à quelques exceptions près, la ligne reste stable et le chant, encore capable de nuances, demeure probe.
On peut alors, inévitablement séduit, succomber au plaisir d’un timbre dont le velours est caresse, admirer l’éclat aveuglant de la voix lorsqu’elle lance, bravache, des aigus radieux, apprécier les demi-teintes dont le ténor, en bon chanteur de charme, sait doser savamment l’usage. On peut aussi, dans la seconde partie du récital plus particulièrement – et pour cause ! – relever la sobriété de l’expression, sobriété toute relative évidemment mais indispensable si l’on veut préserver la générosité mélodique de ce répertoire.
Plus que « Dein ist mein ganzes », presque incongru dans un programme interdit à l’opérette autant qu’à l’opéra, « I’ te vurria vasà » fait battre le cœur ; les sanglots de « Dicitencello vuie » semblent sincères ; « Granada » possède une fierté toute espagnole, « Tu, ca nun chiagne » donne une envie furieuse de pizza et « O Sole mio », déjà vainqueur, apparait comme un avant-goût du raz-de-marée qui, une dizaine d’année plus tard, fera de José Carreras, à l’égal de Luciano Pavarotti et de Placido Domingo, un dieu du stade.