Lorsque cette Flûte enchantée arriva à Aix-en-Provence en juillet 2014, dernière étape d’une coproduction qui l’avait d’abord vue passer par Amsterdam (où a été capté ce DVD, fin 2012), puis par Londres, à l’ENO en novembre 2013, tous ou presque se déclarèrent séduits par ce spectacle, non sans signaler aussitôt que sa magie risquait fort d’échapper entièrement à la captation. Ils ne disaient hélas que trop vrai. Les projections vidéo, très employées, tant pour le décor que pour certains effets plus fugitifs, sont irrémédiablement aplaties par le film, et l’effet enveloppant que pouvait ressentir le public ne se retrouve pas lorsque l’on visionne le DVD. Et le grouillement des machinistes, figurants et bruiteurs présents sur les côtés de la scène ne devient manifeste qu’à certains moments où la caméra décide de s’attarder sur eux. Du coup, on remarque surtout le désenchantement suscité par la présence d’un instrumentiste lorsque Tamino ou Papageno doivent jouer de leurs instruments magiques. Par ailleurs, l’œil n’est pas vraiment à la fête : les projections n’ont ni l’inventivité ni l’esthétisme de ce qu’avait proposé William Kentridge pour la même œuvre, et comme le soulignait Christophe Rizoud dans son compte rendu, le décor, bien qu’ingénieux, est d’une sobriété extrême. Surtout les costumes sont laids : costumes-cravates gris d’employés de bureau pour les disciples de Zarastro, jogging ou treillis pour un Pamino qui n’a ici absolument rien de princier, treillis et rangers ou robes « faux nu » pour les trois Dames, etc. La Reine de la nuit est une vieille femme handicapée et peu ragoutante, escortée d’une horde de viragos, les trois enfants sont des vieillards nus et squelettiques, et Monostatos, d’abord en costume-cravate, bascule peu à peu dans l’animalité crasseuse. La palme revient cependant au couple Papageno-Papagena : les gros plans ne nous épargnent aucun détail de leur look Deschiens très travaillé, l’oiseleur-SDF muni d’un escabeau de peintre en bâtiment portant des vêtements maculés de guano… On reconnaîtra néanmoins à la mise en scène de Simon McBurney une réelle efficacité théâtrale, non dénuée d’une certaine brutalité dans les rapports entre les personnages.
Musicalement, on a affaire à une lecture assez classique de la partition. Contrairement à la version aixoise, ce n’est pas ici un ensemble jouant sur instruments anciens qui l’exécute, mais le Netherlands Chamber Orchestra. Marc Albrecht, qui le dirige, est lui aussi un chef généraliste, qu’on entend souvent dans le répertoire de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Signalons quand même quelques légères libertés prises avec la partition, comme le choix de faire déclamer des phrases du texte parlé par-dessus certains passages instrumentaux, ou de laisser Papageno commencer son deuxième air a cappella pour ne lui associer que peu à peu l’orchestre. Côté chanteurs, le niveau est bon, mais seule la Pamina de Christina Landshamer se détache véritablement, par l’émotion qu’elle parvient à faire passer dans sa voix. Dénué de toute aura en scène, Maximilian Schmitt ne laisse pas une impression inoubliable. Thomas Oliemans n’a pas la tâche facilitée par une production qui choisit de faire de Papageno un marginal, ni lugubre ni comique. Brindley Sherratt est un Zarastro assez discret, malgré de beaux graves. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke prouve une fois encore qu’il est aujourd’hui le ténor de caractère par excellence. On reste partagé face à la Reine de la nuit d’Iride Martinez, à la voix plus caractérisée que les soubrettes parfois distribuées dans le rôle et à l’engagement dramatique incontestable, qui nuit parfois à la netteté des vocalises, d’où quelques passages un peu savonnés. Malgré tout, il manque ici l’étincelle qui transcenderait le tout. Sur le vif, elle brillait sans doute ; mise en boîte, il n’en reste pas grand-chose.