Les supermarchés britanniques invitent régulièrement les consommateurs à pratiquer ce qu’on appelle en anglais mix and match, autrement dit, à combiner des articles – vestimentaires, surtout – dont il n’a pas été initialement prévu qu’ils soient associés, mais qui peuvent fort bien se marier, à condition de faire preuve d’un peu d’imagination. Pour son tout premier disque, la Compagnie La Tempête a choisi de réunir cinq compositeurs d’époques variées, réuni par un fil conducteur : la pièce de Shakespeare qui lui donne son nom. Là où Joël Suhubiette et l’ensemble Les Eléments avaient opté en 2003 pour les adaptations shakespeariennes du XXe siècle rassemblées en un très beau disque (« Full Fathom Five », chez Hortus), là où le New London Concert proposait l’an dernier à la Cité de la Musique un patchwork de toutes les musiques composées au XVIIe pour la pièce de Shakespeare, Simon-Pierre Bestion opte pour une troisième voie, consistant à piocher dans les deux répertoires, jusqu’au plus contemporain (Hersant, Pécou) et sans se priver d’inclure des pièces qui n’ont avec The Tempest qu’un lien extrêmement ténu, voire parfaitement inexistant : les Anthems Z24 et Z135 sont de fort belles partitions, mais n’ont guère de rapport avec Shakespeare, et Philippe Hersant s’appuie sur d’autres poètes anglais du XVIIe siècle. Liberté totale, qui permet les rapprochements les plus inattendus, en picorant ici et là. Les Cinq chansons d’Ariel de Frank Martin sont ainsi éclatées en quatre endroits du disque, et réordonnées pour suivre le déroulement de la pièce, dont les cinq actes sont ainsi présents. Mais comme chez Marks & Spencer, le mélange inattendu fonctionne plutôt bien, ainsi qu’on pourra sans doute le vérifier lorsque le spectacle chorégraphique qui accompagne cette sélection de pièces instrumentales et vocales sera donné le 11 mai, au Collège des Bernardins, où La Tempête est en résidence.
On apprécie une volonté de théâtraliser ces différentes pièces, notamment par le biais d’orchestrations énergiques et colorées, qui ne lésinent pas sur les percussions ou sur la machine à vent (on pense notamment au « Lilk » de Matthew Locke dont les sonorités commencent par étonner avant de séduire). Les Frank Martin sont pris à un tempo assez modéré, mais cela permet d’en savourer toute la beauté dans le détail. Les deux composantes de la compagnie, le chœur et l’orchestre, sont le plus souvent entendus séparément, avec des résultats tout à fait probants, même si telle pièce contemporaine purement instrumentale (« Pour un rituel imaginaire » de Thierry Pécou) pourra paraître un peu longue aux amateurs de musique ancienne vocale. Ni chanteur ni instrumentiste, Geoffroy Bertran fait dans « A Circle in the Sand » une prestation remarquée en tant que siffleur, successeur dans cet art difficile à la regrettée Micheline Dax.
Parmi les cinq solistes vocaux, seule Chantal Santon-Jeffery a le privilège de se faire entendre autrement qu’en ensemble, et dans un répertoire où elle a déjà montré qu’elle était tout à son affaire. La chanson de Dorinda composée par James Hart (1674) n’atteint certes pas les mêmes sommets que Purcell, mais on l’écoute avec plaisir. Dans les extraits d’anthems, on retrouve le beau timbre grave de Lisandro Abadie, toujours très à l’aise dans la musique religieuse de cette époque. Atuellement membre de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, le ténor Yu Shao semble à l’aube d’une belle carrière. Pour être un peu moins médiatisés, Lucile Richardot et Bruno Le Levreur n’en complètent pas moins fort dignement le quintette.