Dieu sait si on aime ce répertoire ! Dieu sait si on aime les Anonymous 4 ! Et pourtant : ce disque-là ne passe pas. Certes on aurait pu penser que la poésie mélancolique de ces mélodies pétries de solitude et d’inquiétude siérait bien aux talents de ce quatuor si exquis dans les ballades médiévales, dans le récit des aventures sentimentales des conteurs anciens. Hé bien, non.
A vrai dire, cela m’inquiète.
Car à chaque instant, dans ces mélodies, on sent le caractère par trop composé, bien peigné, de l’interprétation. Nulle spontanéité, nulle fraîcheur pour servir des textes et des musiques ancrés dans la terre populaire. Dès lors, comment percevoir les fêlures intimes de Listen to the mocking bird, ou de The true lover’s farewell, entre tant d’autres. Hard times come again no more est presque méconnaissable à force de sophistication vocale et de découpage des cheveux en quatre. Bruce Molsky a beau faire chanter son banjo, son violon ,sa guitare, tout ce qu’il veut : rien ne fera dévier ses partenaires d’une raideur tout empesée, d’une absence d’humour et d’humeur assez préoccupantes.
Oui, je m’inquiète. Car ce que nous aimons dans les partitions médiévales – ce surcroît de pureté planante – n’est peut-être que l’idiosyncrasie légèrement grise d’un ensemble vocal qui, ayant trouvé une sorte de timbre et d’approche qui lui soient propres, les fait valoir en toute circonstance sans réellement entrer dans les singularités des répertoires. Qui sait ?
Renonçons à creuser pour l’heure ce soupçon et cherchons dans la discographie des interprétations qui rendent mieux compte de la charge émotionnelle de ces mélodies. On songe évidemment à l’album de Thomas Hampson consacré à Foster en 1992, et pour ceux qui veulent décidément des ensembles féminins aux sœurs McGarrigle, un peu glucose mais autrement empathiques.