Alphons Diebenbrock (1862-1921). Qui parierait sur ce nom ? Qui imaginerait que l’on doit à ce chef et compositeur néerlandais une musique de toute beauté, très proche de celle de Richard Strauss, qu’il connut, tout comme il côtoya Gustav Mahler. Né à Amsterdam, titulaire d’une thèse sur Sénèque, professeur de lettres classiques, il fut toute sa vie un amateur, mais quel amateur ! Les pièces réunies sur le disque que publie le label CPO furent composées entre 1886 et 1918, et donnent donc un bon aperçu de sa production. Il est temps qu’un créateur de son envergure soit reconnu, même s’il a déjà été défendu par des interprètes de premier plan : Riccardo Chailly et Bernard Haitink ont dirigé ses œuvres, Roberta Alexander, Janet Baker, Eva-Maria Westbroek, Christoph Prégardien et Bernard Kruysen les ont chantées, comme le donne à entendre les enregistrements repris dans le coffret de 8 CD et 1 DVD paru chez Etcetera en 2012, pour le 150e anniversaire du compositeur.
Ce que Diepenbrock peut offrir, c’est d’abord une orchestration extrêmement raffinée, qui laisse les instruments solistes surgir d’une masse orchestrale post-romantique. Orchestre touffu mais jamais étouffant, qu’on peut entendre dans la pièce purement instrumentale qui ouvre ce disque, un des Hymnes que Diepenbrock composa à plusieurs reprises. On y apprécie la qualité de timbres du Sinfonieorchester St. Gallen, sous la direction de son chef Otto Tausk. Cette formation était déjà présente sur un autre disque CPO où l’on découvrait le même artiste, Hans Christoph Begemann. Après avoir chanté les louanges du baryton allemand lorsqu’il nous révélait les lieder de Pfitzner (voir compte rendu), il faut à nouveau lui tresser des lauriers, puisque l’on retrouve intactes ses qualités tant vocales que théâtrales. Il est cette confronté à quelques très grands textes littéraires, ce qui prouve au passage que Diepenbrock savait particulièrement bien choisir ce qu’il mettait en musique. Il y a sur ce disque de la poésie, et non des moindres, puisque le compositeur néerlandais n’a pas craint de se frotter au célébrissime « roi de Thulé », qui avait pourtant déjà fait l’objet de plusieurs versions célèbres. Il se tire admirablement de l’épreuve, en créant une atmosphère sombre et tourbillonnante, où la forme strophique semble se dissoudre. Autre poème, « Es war ein alter König », de Heine, qui ferait presque figure de pochade après l’autre « Il était une fois ». Dernier poème, mais en français : « En sourdine », de Verlaine, qui soutient la comparaison avec les versions de Debussy et de Fauré, ce qui n’est pas peu dire ! Hans Christoph Begemann s’y exprime dans un très bon français. Les deux autres textes sont en prose, mais ne viennent pas de n’importe quelles plumes : Novalis pour l’Hymne à la nuit et Nietzsche pour Im großen Schweigen. Deux monologues qui font regretter que Diepenbrock ne se soit jamais mesuré au genre opéra, où il aurait pu faire de grandes choses.