Voilà un DVD bienvenu qui vient enrichir une vidéographie pour le moins étriquée : en effet jusqu’ici le mélomane désireux d’acquérir une vidéo des Capuleti avait le choix entre une captation réalisée au Festival de Martina Franca autour de la Giulietta de Patrizia Ciofi, publiée par Dynamic et une représentation filmée en 2005 à l’opéra de Ravenne avec Valentina Farcas et Paola Gardina.
Enregistré en octobre 2012, ce spectacle est une coproduction entre l’opéra de San Francisco et celui de Munich où il a été donné avec Anna Netrebko et Vesselina Kasarova au mois de mai de la même année. Les somptueux costumes de Christian Lacroix évoquent le dix-neuvième siècle, et les décors de Vincent Lemaire, d’une grande sobriété, créent un univers totalement clos dans lequel les deux protagonistes principaux semblent emprisonnés. Le premier tableau se situe dans une grande salle aux parois grisâtres, au plafond de laquelle sont suspendues des selles de cheval. Les personnages portent des vêtements dans des tonalités allant du gris foncé au gris-bleu. Au tableau suivant, la chambre de Juliette, sans fenêtre, est composée de trois murs lisses avec pour seul élément de décor un lavabo sur lequel la jeune fille grimpe comme pour tenter de fuir ce lieu étouffant. Enfin, le décor du troisième tableau qui figure l’intérieur du Palais des Capulets est constitué d’un grand escalier sur lequel sont rassemblés les invités, les messieurs en frac et chapeau haut-de-forme, les dames vêtues de robes multicolores, une fleur dans la bouche. Même décor au début du deux, tandis que le tombeau de Juliette est également un espace sans ouverture, comme il se doit. La direction d’acteurs très précise de Vincent Boussard établit, avec une grande lisibilité, les rapports entre les différents personnages. Le tableau final confine à l’onirisme : Roméo chante son air « Deh ! Tu, bell’anima » à Juliette qui se tient debout, immobile devant lui, telle un spectre, et plus tard, Lorenzo, Capellio et ses sbires se penchent sur les dépouilles des deux jeunes amants, tandis que ceux-ci se lèvent et quittent lentement le plateau la main dans la main.
Il convient de mentionner les superbes éclairages de Guido Levi qui habillent les murs gris de diverses couleurs selon les scènes.
La distribution est dominée par l’excellent Roméo de Joyce DiDonato. Le rôle qui convient idéalement aux moyens de la cantatrice. La voix, homogène sur toute la tessiture, se joue avec aisance des difficultés qui parsèment sa partie. La cavatine « Se Romeo » est interprétée avec force conviction et la cabalette qui suit avec toute la vaillance requise. Tendre avec Giulietta au premier acte (duo : « Propizia è l’ora ») combatif face à Tebaldo durant leur affrontement du deux, aucun affect du personnage n’est négligé et son air du tombeau est interprété de façon poignante, notamment les mots « così lasciarmi » où l’on sent tout le désespoir du jeune homme. De plus, excellente actrice, la mezzo-soprano américaine est scéniquement tout à fait convaincante en adolescent fougueux.
Nicole Cabell n’est pas en reste. Dotée d’un timbre corsé, la cantatrice campe une héroïne à la fois touchante et volontaire qui échappe à toute mièvrerie. Son air d’entrée « Oh ! Quante volte » est chanté avec un legato impeccable agrémenté de jolies nuances et la supplique qu’elle adresse à son père au deuxième acte « Ah !Non poss’io partir » n’est pas dépourvue d’émotion.
Doté d’un timbre clair et d’un aigu facile et brillant, Saimir Pirgu campe un Tebaldo belliqueux à souhait. Si la ligne de chant est élégante, le ténor se montre toutefois avare de nuances, cependant, il met tant de conviction dans son interprétation qu’elle finit par emporter l’adhésion.
Ao Li et Eric Owens complètent idéalement cette distribution de haut vol, le premier notamment particulièrement touchant dans le rôle de Lorenzo.
Au pupitre Riccardo Frizza se montre comme à l’accoutumée extrêmement attentif aux chanteurs. Sa direction, soignée à défaut d’être inventive, n’appelle aucun reproche.
Signalons enfin la présentation luxueuse du coffret, avec un livret illustré de superbes photos en couleurs et regrettons que les interviews figurant sur le second disque ne soient pas sous-titrés. Voilà un DVD tout à fait recommandable, qui se hisse sans peine au sommet de la maigre vidéographie de l’ouvrage.