Le projet d’intégrale des mélodies de Debussy initié par la firme Hyperion remonte au tout début des années 2000, le premier volume ayant été enregistré en 2001 (et publiée en 2003) par un Christopher Maltman alors au sommet de ses jeunes et débordants moyens. Puis il fallut attendre quelque dix ans pour voir enfin sortir un deuxième CD. On ne peut que se réjouir que le rythme se soit de nouveau accéléré. En effet, sous la houlette de Malcolm Martineau, pianiste attentif à la construction de ses programmes comme au choix des interprètes, ce troisième volume est aussi intéressant que bigarré : on y trouve l’un des plus absolus chefs-d’oeuvre de toute la mélodie française (Le Promenoir des deux amants, sur des extraits du poème éponyme de Tristan l’Hermite), des pages de la toute première jeunesse du compositeur (1880) mais aussi et surtout quelques mélodies inédites du vivant de Debussy. Le retard pris par Hyperion dans son projet d’enregistrement aura en effet permis de bénéficier des récentes redécouvertes faites à l’occasion des célébrations qui entouraient les 150 ans de la naissance de Debussy, en 2012 – saluons ici le travail de restitution et d’édition du musicologue Denis Herlin.
Ce rapprochement a priori audacieux d’oeuvres majeures et de pages plus légères, où les influences peuvent encore se faire entendre çà et là dans une écriture qui se cherche, donne finalement un programme réjouissant. Il faut dire que la jeune Jennifer France, récente lauréate du Prix Kathleen Ferrier, fait preuve d’une belle maturité, mettant son excellente diction et sa belle technique au service de l’émotion sans sacrifier à la seule beauté du chant – il est vrai que son timbre, encore un rien aigrelet parfois, n’y invite pas de prime abord. Les pages qui lui incombent sont d’une terrible difficulté, jouant presque exclusivement dans les hauteurs de la tessiture – les mélodies dédiées par Debussy à la soprano Marie-Blanche Vasnier laissent imaginer la longueur de voix de celle qui fut la Muse de ses débuts, et sa facilité dans les aigus. La Romance d’Ariel, par exemple, trouve le parfait équilibre de l’agilité, de la souplesse aérienne, et du poids des mots. Quant aux mélodies jamais publiées du vivant de Debussy, composées sur des poèmes de Charles Cros pour L’Archet, de Maurice Bouchor pour une Chanson triste et Les Baisers d’amour, et de Leconte de Lisle pour les sublimes Elfes, elles témoignent de la vision du jeune musicien, déjà si en avance sur son temps.
Le baryton Jonathan McGovern, lui aussi jeune prodige du chant britannique, pâtit en revanche du choix même des oeuvres qui lui incombent. Ce n’est pas que la voix ne soit pas belle – au contraire, on pourrait même lui reprocher de trop faire confiance à son bel et chaleureux timbre, au détriment d’un chant plus posé et pesé. Mais dans les trois courtes pages du triptyque du Promenoir des deux amants, déparées en ses deux extrémités (une faute de prononciation assez malheureuse dès le début : « grâtte sombre » pour « grotte » ; la bémol grave final qui semble au-delà des limites de la voix de l’interprète), les références ont beau ne pas être nombreuses, elles lui font une trop grande ombre. Gérard Souzay ou Bernard Kruysen, pour ne citer que les interprètes de même tessiture, ont davantage pénétré les méandres de ces trois fragiles miniatures et les qualités purement vocales ne peuvent ici suffire. Beaucoup plus à l’aise dans les mélodies de jeunesse, où la musique invite à l’effleurement, il rend toute justice aux deux mélodies de Bouchor citées plus haut, comme il sait admirablement jouer des changements d’atmosphère de La Belle au Bois dormant – où Debussy, s’amusant à citer la mélodie populaire « Nous n’irons plus au bois », demande à son interprète de passer de la plus douce tendresse à la vaillance quasi héroïque. Dans la même veine médiévisante, notons sa belle lecture de Dans le jardin, page encore toute nimbée de la récente composition de Pelléas et Mélisande.
Malcolm Martineau tisse de bout en bout le fil de ce programme avec une évidence, une simplicité dans la narration, une tendresse aussi, qui contribuent en grande partie à la réussite de ce disque.