Il y a des disques dont on se demande parfois si leur label a délibérément voulu la mort en les accablant d’une présentation apte à dissuader le chaland : Deutsche Harmonia a choisi de se tirer une balle dans le pied, soit. Mélomane curieux, il te faudra faire abstraction d’une pochette grisâtre et rébarbative représentant une façade aveugle et basse sous un ciel plombé, pour découvrir une musique qui, elle, n’a rien d’austère, malgré son nom. Vous pensiez que ce genre d’image était l’apanage de la musique contemporaine ? Erreur, car le présent disque relève du baroque le plus triomphant.
Quelques mots d’abord sur le compositeur. Né à Naples en 1711, Davide Perez se fit d’abord connaître dans le domaine de l’opera seria – il devait composer une quarantaine de titres entre 1735 et 1755. En 1752, le roi du Portugal le fit venir à sa cour, où sa carrière lyrique fut très brève, à cause du fameux tremblement de terre de Lisbonne. Avant de mourir dans la capitale lusitanienne en 1778, Perez s’illustra dans la musique religieuse, avec notamment ce Matin des morts, interprété pour la première fois en 1770 à l’occasion du pèlerinage de la famille royale à Noss Senhora do Cabo. Chacun des trois « nocturnes » se compose de trois répons permettant un dialogue entre chœur et solistes, et se conclut par un Requiem ou un Libera me. Retrouvée à la bibliothèque de Royaumont, recréée l’été dernier au festival de la Chaise-Dieu, l’œuvre a ensuite été donné en tournée européenne et enregistrée dans la foulée.
Cet enregistrement fait appel à sept solistes, dont deux sont mis en avant, et pas seulement en raison de leur notoriété. Roberta Invernizzi s’est fait connaître en participant à la résurrection de quantité d’œuvres italiennes du XVIIIe siècle. C’est elle qu’on entend dans chaque intervention de soprano solo, et l’on imagine qu’on a fait appel à elle pour les passages les plus virtuoses où l’on goûtera toute la fraîcheur de son timbre ainsi que l’émotion qu’il est capable de véhiculer. Car la musique de Perez, si elle a ses moments guillerets ou intensément dramatiques, est aussi capable du plus grand recueillement.
Le nom de Salvo Vitale n’avait pas souvent été porté à notre attention avant qu’il ne campe deux petits rôles dans Le Couronnement de Poppée en juin dernier à l’Opéra de Paris. On avait alors pu apprécier l’étendue de son registre grave, qui aurait sans doute fait de lui un meilleur Sénèque que le titulaire du rôle. Il descend ici jusqu’aux abîmes, sans jamais se départir d’une grande majesté dans la déclamation du texte latin.
Chantant le plus souvent ensemble, les cinq autres solistes ici rassemblés s’acquittent fort bien de leur tâche, tout comme le Ghislieri Choir aux voix éthérées. Giulio Prandi dirige avec dynamisme une partition qu’il a redécouverte à Royaumont, et communique aux instrumentistes du Ghislieri Consort son enthousiasme pour ce Davide Perez qui n’a pas à rougir de la comparaison avec son illustre contemporain Pergolèse.