L’ensemble vocal Voces 8 et l’ensemble instrumental Les Inventions ont uni leurs forces afin de rendre hommage à l’un des plus grands compositeurs anglais, Henry Purcell, et de célébrer « l’étonnante diversité » de sa production à travers un florilège de pages principalement chorales, extraites d’hymnes, d’odes, de musiques funéraires, d’opéra et de semi-opéras, représentatives de son « génie propre à exprimer l’énergie des mots anglais, par laquelle il a déplacé les passions de tous ses auditeurs ». Belle ambition, malheureusement déçue.
Tout d’abord, l’effectif de Voces 8 (ainsi que son nom l’indique, constitué de huit chanteurs : deux sopranos, deux contre-ténors, deux ténors et deux basses), si vaillant soit-il, ne peut se prévaloir de l’ampleur d’un chœur et prive de nombreuses œuvres de leur magnificence et de leur puissance, souvent exigées par la circonstance – anniversaire, couronnement ou décès – et la personnalité pour laquelle elles furent écrites – souverain ou Sainte Cécile. L’écriture polyphonique, avec ses entrées en canon et fugues, perd tout relief et s’écrase. Aucune comparaison n’est possible avec les versions classiques de Gustav Leonhardt et John Eliot Gardiner, qui donnent à cette musique toute sa majesté et toute son âme, généreuse et lumineuse. Seul « Thou Knowest, Lord, the Secrets of Our Hearts », prière implorant la pitié du Puissant, composée pour les funérailles de Queen Mary II, convainc par sa sobriété et sa plénitude, facilitées par l’homorythmie.
Ensuite, et cela constitue le défaut le plus insupportable à nos oreilles, l’interprétation manque totalement de musicalité. La diversité tant vantée et annoncée demeure la grande absente; l’énergie des mots est réduite à néant. Les magnifiques voix blanches des membres de Voces 8, en particulier celles de la soprano Andrea Haines, de la basse Dingle Yandell et du contre-ténor Barnaby Smith, conviennent davantage à l’exécution du répertoire de la Renaissance qu’à celle d’airs baroques qui requièrent plus de sens théâtral et de ressenti, de nuances et de variétés, et surtout d’attention aux mots. « By Beauteous Softness Mix’d with Majesty », de l’ode pour l’anniversaire de la Queen Mary (1689), confronte les termes « softness » et « sweetness » avec « majesty », « empire » et « justice », entonnés avec la même douceur, sans la moindre inflexion. On cherche en vain un semblant de réel enthousiasme et de facétie dans « Strike the Viol »; un peu plus de tendresse et de charme dans « Fairest Isle » auraient été les bienvenus (on regrette Karina Gauvin). Dingle Yandell ne possède pas la noirceur nécessaire pour la célèbre chanson du génie du froid, « What Power Art Thou » de King Arthur, dont par ailleurs l’introduction instrumentale avec ses trémolos figuratifs ressemble davantage à une mauvaise reprise du générique du film Les Dents de la mer. Les pages d’inspiration religieuse ne témoignent d’aucune ferveur ni brillance (« Praise the Lord, O Jerusalem » qui se termine par un alléluia déconcertant de lassitude ; « O God, Thou Art my God »). La même remarque s’impose pour les chœurs profanes, tel « To the Hills and the Vales » de Dido & Aeneas, abordé sans vivacité ni rigueur rythmique, avec pour fâcheuse conséquence une impression de désordre.
Les carences de l’interprétation vocale se répercutent sur la prestation des Inventions qui s’en sort sinon plutôt bien, avec cependant un peu de lourdeur.