Après Nance Grant, l’éditeur australien Desiree Records continue son œuvre de redécouverte et de réhabilitation avec ce coffret consacré cette fois au baryton Robert Allman. Quasi contemporain de Joan Sutherland puisqu’il est né comme elle en 1926 et décédé en 2013, trois ans après la stupenda, le chanteur est également méconnu du public européen malgré une carrière moins casanière que celle de Grant comme nous le verrons plus loin.
Le coffret offre un large panorama du répertoire de cet artiste, de l’évolution de sa voix et de son répertoire.
Comme pour Nance Grant, les premiers témoignages nous viennent du Mobil Quest, une sorte de radio-crochet destiné à faire connaître de jeunes talents. Le troisième CD s’ouvre sur trois extraits de cette époque (en anglais), qui nous font découvrir les moyens impressionnants d’Allman et une émission naturelle qui manque encore un peu d’iltalianité. Repéré par Dominique Modesti, professeur de chant français marié au soprano australien Norma Gadsden et « découvreur » d’Albert Lance (autre grande voix australienne), Allman se perfectionne à Paris puis auditionne ensuite à Londres pour être engagé à Covent Garden dès le lendemain. Il y chante Donner du Rheingold puis Escamillo (une quarantaine de fois, parfois aux côtés de Jon Vickers), mais se sent en but à l’inimitié du « lobby gallois » mené par Geraint Evans qui voit d’un mauvais œil cette concurrence. Dès que l’occasion se présente, Allman passe une audition pour chanter en Europe et débute en Iago à Dammstardt, en allemand cette fois.
A l’issue de ces quelques années, la voix a perdu en brillance mais gagné en rondeur et en noirceur, faisant irrésistiblement penser à celle de l’immense baryton américain, Leonard Warren. De cette décennie passée en Allemagne (de 1959 à 1969), le coffret nous propose de larges échos : un remarquable Amfortas et la scène finale de Rigoletto excellemment dirigée par le compositeur Bruno Maderna, tous les deux enregistrés à Cologne, un extrait du Trouvère avec l’immense Helge Rosvaenge. Bien que ces deux derniers morceaux paraissent convaincants, Allman n’est pas pour autant un baryton Verdi, la sollicitation répétée de l’aigu semblant le fatiguer à la longue. On en a un début de preuve avec le duo d’Aida, enregistrée à la Nouvelle-Orléans aux côtés d’une incroyable Virginia Zeani d’un vérisme exacerbé, où l’artiste finit par détonner. On notera que le coffret ne présente aucun suraigu dans quelque rôle que ce soit. A l’époque, Allman est bien plus à l’aise en Jokanaan qu’il chante à l’occasion d’un bref retour en Australie.
En 1969, Allman retourne définitivement en Australie où il interprète, le plus souvent en anglais, les principaux rôles du répertoire. De cette nouvelle période, on retiendra surtout les « véristes » (en incluant Puccini) qui conviennent particulièrement à la noirceur de la voix et au mordant du phrasé. Mais Allman excelle également dans le répertoire allemand avec des Strauss et des Wagner tout à fait convaincants, en particulier le Hollandais du Vaisseau fantôme. Cette évocation nous permet de l’entendre aux côtés de l’immense Joan Sutherland dans un extrait très excitant d’I Masnadieri ou encore les débuts de Kiri Te Kanawa dans une Traviata que l’on voudrait intégrale.
Cerise sur le gâteau, le coffret propose des extraits de son gala d’adieu en 1997 à l’Opéra de Sydney, un gala arrangé par Brian Castles-Onion promoteur de ce coffret. A 71 ans, Allman fait preuve d’un entrain irrésistible, notamment dans un pot pourri hilarant intégrant Valentin de Faust, Enrico de Lucia di Lammermoor, Alfonso de Lucrezia Borgia, etc.