Publiées en 2010 sous le titre Prima la musica, poi le parole. Autobiografia, les mémoires de Riccardo Muti nous parviennent aujourd’hui (bien) traduites par Serge Filippini. Quatre années séparent donc la version française de l’originale. Une paille dans la carrière du chef d’orchestre qui amorça son glorieux parcours au début des années 1960, mais quatre années significatives dans une Italie culturelle mise à feu et à sang par Berlusconi et ses sicaires. Ceux qui attendent de cette autobiographie un regard politique sur l’actualité musicale de l’autre côté des Alpes en seront pour leurs frais. La période romaine avec le fameux coup d’éclat de Nabucco en 2011 n’est évoquée que sous forme de notes de bas de page ajoutées par l’éditeur, et le pape dont il est plusieurs fois question n’est pas François mais Benoit XVI.
Plutôt que mémoires, au sens temporel du terme, on parlera donc de manifeste. La démarche chronologique, adoptée en début de récit, est d’ailleurs rapidement abandonnée pour laisser place à une somme de considérations émaillées de nombreuses anecdotes. Passent comme des fantômes Jessye Norman, Maria Callas et quelques autres. Silhouettes rapidement esquissées, on sent le Maestro d’abord préoccupé de son image et avant tout soucieux de convaincre le lecteur du bien-fondé de ses points de vue interprétatifs. Ardemment combattue, la puntatura, cette habitude qu’ont les chanteurs de remplacer la note écrite par une autre, fait par exemple l’objet d’un long réquisitoire Le philologue se montre moins sourcilleux lorsqu’il s’agit en 1976 de distribuer Franco Bonisolli en Arnold dans Guillaume Tell : « J’étais moi-même tout à fait en mesure de comprendre qu’une voix pouvait être plus ou moins rossinienne, et il est possible que Bonisolli ait chargé son interprétation d’un poids vocal que Rossini n’avait peut-être pas en tête. En même temps, comment l’affirmer avec certitude ? S’il l’avait entendue, qui sait s’il ne l’aurait pas aimée ? ». Deux poids, deux mesures. L’exercice est subjectif, peut-il en être autrement ?
On n’est pas davantage étonné de voir se dessiner au fil des pages un portrait de Riccardo Muti — l’homme— tel qu’on se le représente : impérieux, absolu, cultivé évidemment mais pas forcément sympathique. En postface, Mario Grondana, qui enseigne l’histoire de la musique à l’Université de Pise, explique durant une quarantaine de pages (sur les 240 que comporte le livre) tout ce qui rend l’art du Maestro exceptionnel. Etrange surcroit de démonstration qu’une simple écoute de quelques-uns des CD proposés dans la discographie sélective en fin de volume rendrait superflue.