Parmi les nombreuses parutions de cette fin d’année, Oehms Classics nous propose un Ring en provenance de l’Opéra de Francfort. Après le Ring de l’Opéra de Hambourg, paru l’an dernier, le label munichois semble se faire une spécialité de la publication de Tétralogies proposées par des scènes allemandes que l’on pourrait un peu trop rapidement qualifier de provinciales, si l’on oubliait par mégarde que la notion de province n’a aucun sens outre-Rhin.
Que trouve-t-on dans ce Ring ? Du travail sérieux, indéniablement, à commencer par la direction solide de Sebastian Weigle : c’est l’école Barenboïm, certainement pas la plus mauvaise. Weigle a été son bras droit au Staatsoper de Berlin de 1997 à 2002 (il y croisa un certain Philippe Jordan…) avant de voler de ses propres ailes et de trouver le chemin de Bayreuth où il dirigea de 2007 à 2011 la production si controversée des Maîtres Chanteurs mise en scène par Katharina Wagner. De Barenboïm, Weigle a retenu le métier (c’est déjà beaucoup), mais ce n’est pas lui faire injure que de relever qu’il n’a pas le génie du maître. Sa direction est appliquée, charpentée, mais manque de souffle, au risque de tomber bien souvent à plat, voire de verser dans la lourdeur (le pêché suprême et rédhibitoire chez Wagner). Un bon quart d’heure de plus au compteur que Thielemann, qui ne passe pas pour le plus rapide des chefs wagnériens, une heure (oui, lecteur, tu as bien lu : une heure !) de plus que Janowski : voilà un Ring qui prend son temps. Mais n’est pas Knappertsbusch qui veut : ses lenteurs se transforment vite en longueurs, et si l’on ajoute que l’orchestre est bien pauvre en qualités premières, on comprendra que ce n’est pas de la fosse que viendra le salut.
Viendra-t-il alors de la scène ? En partie seulement. Dans la distribution, on trouve en effet un peu de tout. Cela va du très bon (l’Alberich de Jochen Schmeckenbecher, que l’on retrouve ici avec bonheur, la Sieglinde d’Eva-Maria Westbroek, bien sûr, toujours aussi sensuelle), au bon (le Wotan chantant et frais de Terje Stensvold, dont on n’imagine pas un instant, à l’écoute, qu’il va sur ses… 70 ans ! ; le Loge mélodiste de Kurt Streit, mais aussi le Siegmund de Frank van Aken, solide, nuancé, et au timbre recouvert d’une ombre qui sied au jumeau maudit, la Waltraute impérieuse de Claudia Mahnke, qui fait un carton, le Hagen de Gregory Franck, la Fricka de Martina Dicke ou le Hunding de Ain Anger) jusqu’au franchement discutable, comme la Brünnhilde hors jeu de Susan Bullock, qui déclare forfait dès l’acte II de la Walkyrie, le Siegfried impitoyablement nasillard et poids plume de Lance Ryan, qui ne fait pas illusion 30 secondes à la forge, l’Erda matrone de Meredith Arwady à la limite du grotesque (hélas, on lui a aussi confié la Deuxième Norne…), ou le Fasolt exsangue d’Alfred Reiter en passant par le quelconque qui, sans être mauvais, s’oublie aussitôt entendu (Mime, Froh, Donner, Gunther, Gutrune, les Walkyries…).
Au total, ce Ring, même s’il ne la dépareille pas, ne propose pas de quoi bouleverser la discographie, même la plus récente, d’autant qu’au même moment, Marek Janowski achève, pour Pentatone Classics, un Ring autrement plus captivant, et que Valery Gerghiev poursuit le sien à Saint Petersburg. Une publication testimoniale, en somme.