Quelle joie de retrouver au disque le Chicago Symphony Orchestra ! La phalange mythique de Fritz Reiner, Georg Solti puis Daniel Barenboim était une des plus enregistrées au monde. Un violoniste du rang, intercepté dans un restaurant proche du Symphony center, nous confiait que, au début des années 80, l’orchestre était dans les studios chaque début de semaine. La crise des années 2000 est passée par là, les majors ont déserté, et c’est avec son label auto-produit que le CSO est désormais présent sur le marché. Mais d’une manière nettement plus parcimonieuse : la dernière parution remonte à plus de deux ans. Cet Otello capté en concert permet de constater que l’orchestre est toujours au même niveau d’excellence : les cuivres de la scène d’ouverture, les pizzicati de « Fuoco di gioia », les harpes sous « Ora e per sempre », tout est rendu avec une virtuosité impressionnante et une netteté tranchante, dans une prise de son parfaitement spatialisée.
A la tête de l’orchestre depuis peu, Riccardo Muti s’attache à préserver cette qualité technique, tout en la mettant au service d’un répertoire peu fréquenté par ses « Chicago boys », l’opéra italien. Cela nous vaut un Otello de feu, mené d’une baguette impérieuse, où tout claque, cravache, étincelle. Rarement l’écriture symphonique du dernier Verdi aura été aussi bien mise en valeur. Mais Muti est aussi un chef de théâtre, et la parure orchestrale étincelante ne couvre jamais le plateau.
Un plateau qui réserve des bonnes surprises, à l’aune d’un chant verdien qu’on dit en déclin. Le ténor russe Aleksandr Antonenko éblouit dès son entrée. Ce « Esultate » redouté par tous les ténors est lancé avec une assurance frondeuse qui ne se démentira pas tout au long des deux heures : voilà une voix solide et chatoyante, qui assure tous les aigus, mais qui offre en même temps une couleur barytonale dans certains passages, au point de se confondre parfois avec Iago, ce qui est une option parfaitement défendable quand on sait que beaucoup de commentateurs ont vu dans ce personnage le « reflet sombre » d’Otello. Au même niveau d’excellence, la Desdémone de Krassimira Stoyanova plane au-dessus des ensembles qui parsèment la partition, et nous bouleverse par sa fragilité au dernier acte. Le Cassio de , Juan Francisco Gatell est tout d’aisance et de séduction. Sa voix saine est bien celle d’un bel cantiste. Les seconds rôles sont tous excellents, et le chœur est déchaîné. Seule ombre au tableau : le Iago de Carlo Guelfi, qui donne l’image d’un personnage renfrogné, type méchant de cinéma. Abusant d’une voix nasale, il oublie la part de noblesse du rôle.
Cette minime réserve n’empêchera pas les lyricophiles de goûter un coffret de premier plan, qui clôture en beauté l’année Verdi.