Pour le cinquantenaire de la mort de Jean Cocteau, l’Opéra-Comique a proposé au printemps dernier La Voix humaine, choix le plus évident sans être le plus original de toutes les œuvres lyriques que le poète a suscitées. A condition de patienter jusqu’au printemps 2014, les Parisiens auront droit à Œdipus Rex en concert, et l’Athénée proposera Le Pauvre Matelot de Milhaud (mais pas de Gendarme incompris de Poulenc en vue) ; entre-temps, en janvier, l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne aura accueilli Philip Glass en personne pour diriger sa bande-son pour La Belle et la bête. Autre possibilité : créer une œuvre nouvelle autour de la personnalité de l’écrivain. C’est ce qu’a fait, avec un an d’avance sur les commémorations, le festival de Canterbury, en donnant en juin 2012 When the Flame Dies, opéra en un acte du Britannique Ed Hughes. Le présent album inclut un CD audio de l’œuvre, accompagné d’un DVD tourné lors de la création de l’opéra en version concertante avec projections vidéo. Autant dire tout de suite que ledit DVD n’apporte pas grand-chose, les projections n’étant guère qu’un cache-misère. Mieux vaut se concentrer sur l’écoute de la musique seule, en attendant de pouvoir juger cet opéra dans une véritable version scénique.
Comme Philip Glas, Ed Hughes est attiré par le cinéma ; il a notamment composé de nouvelles musiques pour les chefs d’œuvre du cinéma muet (La Grève et Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, Femme de Tokyo, d’Ozu). Né à Bristol en 1968, il est l’auteur d’un premier opéra créé en 2005, The Birds, d’après la célèbre pièce d’Aristophane qui avait jadis inspiré Walter Braunfels. Le livret de When the Flame Dies est l’œuvre de Roger Morris, auteur de fictions policières dont une des nouvelle avait inspiré à Ed Hughes son premier essai dans le genre lyrique, The Devil’s Drum, œuvre d’une vingtaine de minutes. Bien qu’il soit simplement désigné comme « le Poète », Cocteau en est le personnage principal, et l’action se situe très précisément en décembre 1923, alors que Raymond Radiguet vient de mourir de la typhoïde ; de ce deuil devait naître la pièce Orphée en 1926. Dans l’opéra, la Mort vient proposer au Poète de retrouver son défunt amant « Raymond » en se suicidant. Le Poète hésitant, la Mort allume une bougie : avant qu’elle soit éteinte, il devra choisir entre l’art et l’amour. Apparaissent successivement Orphée et Eurydice, puis Raymond en personne. Au dernier moment, le Poète préfère se consacrer à son art.
Plus que par l’écriture vocale, souvent peu passionnante, c’est l’effervescence de l’orchestre qui séduit dans ce bref opéra de chambre, le chatoiement des timbres des douze instrumentistes de l’ensemble New Music Players, auxquels s’ajoutent certains passages traités par l’électronique. Les deux personnages principaux, le baryton et la mezzo à qui sont confiés le Poète et la Mort, déclament leur texte à un rythme soutenu, avec malgré tout quelques d’épanchements « lyriques » lors des monologues dont l’œuvre est émaillée. Vu en 2011 dans Patience de Gilbert et Sullivan donné au Musée d’Orsay par les élèves du Royal College of Music, Edward Grint se révèle très à l’aise dans l’aigu ; Lucy Williams, de son côté, mène le jeu avec autorité. En Orphée, pour une partition tendue d’inspiration assez britténienne, Julian Podger est très mis à l’épreuve et émet des sons assez déplaisants ; comme le rôle d’Eurydice se borne à quelques phrases sonorisée en écho des propos de son époux, il est difficile de juger des qualités d’Emily Phillips. Bonne prestation du contre-ténor Andrew Radley en Radiguet, gratifié d’un long soliloque peu avant la fin de l’œuvre.