Non, non, qu’on ne s’y méprenne pas, Andréa Guiot est encore bien de ce monde, et le disque Malibran de la série « La Troupe de l’Opéra de Paris » vient lui rendre hommage de son vivant, ce qui n’est après tout pas plus mal. Si ange il y eut, c’est parce que cette soprano française sut à merveille incarner les héroïnes « angéliques », les gentilles face aux méchantes, comme Rozenn du Roi d’Ys, où elle affrontait en Margared la très volcanique Jane Rhodes. Avec la même Jane Rhodes, Andréa Guiot fut Micaëla lorsque Carmen entra au répertoire de l’Opéra de Paris en novembre 1959 ; de ce rôle qu’elle devait chanter 143 fois au Palais Garnier jusqu’en 1970, on entend ici « Je dis que rien ne m’épouvante » dans un enregistrement radio de 1959, et l’on y retrouve dans toute la maîtrise du personnage celle que les jeunes générations connaissent au moins indirectement grâce à Maria Callas, aux côté de qui elle eut le privilège de l’enregistrer en 1964. Un autre disque permit longtemps de préserver le souvenir d’Andréa Guiot, le Psaume 47 de Florent Schmitt, jadis disponible chez EMI, où la soprano déployait également sa voix d’ange pour nous inviter à « frapper des mains toutes ensembles ». Dans un monde bien fait, il devrait encore être possible de se procurer les extraits de Faust dirigés en 1960 par Jésus Etcheverry, où elle était, entourée de Gustave Botiaux et Xavier Depraz, cette Marguerite qui fut aussi un de ses rôles-fétiche, celui avec lequel elle fit ses début à l’Opéra de Paris. Le présent disque nous permet d’entendre le trio « Anges purs, anges radieux » avec ces mêmes partenaires.
Le répertoire français est bien représenté dans le disque Malibran, et ce n’est que justice : comme on pouvait s’y attendre, on trouve ici une très pure Antonia, le rôle de ses débuts à l’Opéra-Comique, et une énergique Mireille, personnage qui lui fut confié pour le centième de la première en 1964 et lui valut d’être saluée comme « Mireille nationale ». A peine moins angélique (le livret ne donne au personnage aucune perversité wildienne), Salomé dans Hérodiade de Massenet, malgré un « Il est doux, il est bon » dirigé à un rythme lénifiant par Albert Wolff en 1959. Deux extraits de Sigurd nous la montrent en Brunehild, rôle très dramatique, qui sollicite beaucoup le grave et exige bien plus de vaillance que ses emplois habituels ; on la préférera peut-être dans un autre rôle chanté en français, mais à cheval sur deux esthétiques, l’air de Mathilde de Guillaume Tell, où elle peut faire valoir toutes ses qualités de diction et la noblesse de son style.
Pourtant, la vraie surprise, la vraie découverte, ce sera d’entendre Andréa Guiot chanter en italien, avec tout d’abord un éblouissant air d’Elvire (enregistrement radio 1963). Quelle ardente mozartienne la France a laissé passer : on sait qu’elle fut Fiordiligi Salle Favart en alternance avec Schwarzkopf dans les années 1960, et chanta dans Don Giovanni à Garnier, mais elle n’alla apparemment pas plus loin dans l’exploration de ce répertoire où elle aurait pu briller. Epargnée par cette grande purge que fut la dissolution de la troupe de l’Opéra, Andréa Guiot se vit encore confier quelques rôles par Rolf Liebermann dans les années 1970 : fille-fleur dans Parsifal (les autres s’appelaient Christiane Eda-Pierre ou Jane Berbié), Mimi dans La Bohème où Helmwige dans La Walkyrie. C’est à Verdi qu’elle consacra ses ultimes prises de rôle : elle fut notamment Desdémone à Strasbourg (on l’entend ici la Chanson du Saule suivie d’une touchante Prière, dans un son un peu précaire). Dans Turandot au Palais Garnier en 1968 aux côtés de Birgit Nilsson et James King, elle fut une Liù très applaudie, mais il n’est pas sûr que Puccini soit le compositeur avec qui elle avait le plus d’affinités, à en juger d’après l’écho de représentations avignonnaises.