Qui est Giuseppe Verdi ? Le plus grand compositeur italien d’opéras du XIXe siècle et sans doute de tous les temps ; un des musiciens les plus joués au monde aujourd’hui ; un homme de théâtre à l’intuition fulgurante ; l’auteur inspiré d’ouvrages aussi connus que La Traviata, Nabucco, Le Trouvère… ; le père – un mot lourd de sens dans la dramaturgie verdienne – de personnages devenus mythiques à force de succès : Violetta, Rigoletto, Aida, Otello… ; l’infatigable pourvoyeur de mélodies qui ont fait le tour de la terre : « Va pensiero », « La donna é mobile », « Libiamo ne’ lieti calici » ; le sage qui, à l’âge de 80 ans, offre à la scène lyrique un ultime chef d’œuvre stupéfiant de jeunesse – Fastaff – ; une figure emblématique du Risorgimento, ce mouvement qui présida à l’unification politique de la péninsule italienne ; un fils de modestes paysans, originaire de Roncole – un hameau proche de Busseto, dans la province de Parme –, devenu à la fin de sa vie une gloire nationale. Tout cela nous le savons ; nous l’avons lu ; inutile de nous le rappeler. Mais qui était Giuseppe Verdi ? La réponse est moins évidente tant la légende vient diaprer les flots, parfois sombres, de l’histoire.
« C’est le fils, le mari, l’amant, le père que j’ai voulu raconter » explique Roselyne Bachelot. C’est l’homme que s’attache à décrire trois cent pages durant la chroniqueuse du « Grand 8 » et la collaboratrice de Forumopera.com – sa biographie en quatrième de couverture le rappelle –, d’une écriture à son image : directe, naturelle, chaleureuse, bienveillante, pétillante. Ceux qui s’attendent à une hagiographie, à un « livre de fan », risquent d’être surpris. Qui aime bien, châtie bien. Roselyne Bachelot n’est pas une tresseuse de lauriers. « Ours mal léché », « mari volage », « fils ingrat », « affublé d’un costume un peu trop large pour lui » (à propos de l’homme politique, plus opportuniste qu’engagé)… Il ne s’agit pas de déboulonner la statue de son socle mais de débarbouiller l’image des enjolivures romantiques que Verdi, le premier, s’est complu à délinéamenter. Faut-il par exemple rappeler qu’il brouilla les dates du décès de sa femme et de ses deux enfants pour rendre leur disparition plus tragique ?
« En idéalisant délibérément son parcours, Verdi a par avance autorisé que je prenne quelques libertés… » prévient Roselyne Bachelot dans sa préface. Comme elle a eu raison ! Mieux vaut parfois contourner la réalité pour mieux la représenter. Les scènes que l’auteure imagine, les lettres, les dialogues qu’elle invente sont pure fiction mais ils nous donnent à saisir au plus près la personnalité ombrageuse et complexe du musicien. Verdi amoureux, oui ; Verdi familier aussi.
Roselyne Bachelot a parfois l’imagination fertile. Faut-il prêter foi à toutes ses hypothèses ? Les relations entre Giuseppe Verdi et Donnino Emanuele Muzio, il suo Rossetto (« son petit rouquin »), son ami, son assistant, son confident, furent-elles aussi ambiguës qu’elle se plait à le souligner à maintes reprises ? Derrière le caractère austère de celui qui épousa Giuseppina Strepponi après presque 20 ans de réflexion, se cachait-il vraiment un donnaiolo (« homme à femmes ») ? Les gardiens du temple s’offusqueront peut-être de certaines licences. Mais l’histoire est racontée avec un tel enthousiasme que finalement pourquoi pas !
Entre chaque chapitre, un « arrêt sur image » vient ponctuer le récit. Parenthèse bienvenue, mise en perspective instructive qui, en décodant Verdi – l’homme toujours – selon une grille de lecture contemporaine et à partir de thèmes qui sont chers à la biographe – le droit des femmes, la diversité, la politique… – inscrit le propos dans notre temps.
« Entreprise bienvenue de démystification » titrions-nous à propos du Bellini que vient de publier chez Actes Sud Jean-Philippe Thiellay, un autre de nos collaborateurs. Le Verdi amoureux de Roselyne Bachelot procède de la même démarche : sortir de la convention, proposer un regard actuel sur un compositeur que l’on croit connaître parce qu’il est connu, dépoussiérer, interroger, ranimer la flamme. C’est pour cela – entre autres – que nous sommes fiers de les compter parmi nous.