Charles Bordes, le fondateur des Chanteurs de Saint-Gervais et de la Schola Cantorum, avec d’Indy et Guilmant, laisse une œuvre à découvrir. Pour faire simple, sa production vocale se partage entre les partitions religieuses, les harmonisations de collectages réalisés au Béarn et les mélodies. Ces dernières, sur des poèmes de Verlaine, enregistrées en 2012, sont complétées aujourd’hui par ce nouveau CD pour constituer une intégrale. Timpani poursuit ainsi, courageusement, sans relâche, l’illustration de la mélodie française avec un vingt-sixième enregistrement.
Inconnues pour la plupart, ces pièces furent publiées par Pierre de Bréville après la mort du compositeur. Les Parnassiens comme les Symbolistes, que fréquentait Charles Bordes, y sont illustrés de façon originale et sûre.Bien davantage qu’une curiosité, il s’agit d’une découverte importante. Bordes n’est ni un obscur petit maître, ni un épigone, mais un musicien original, sensible et puissant dont la maîtrise de l’écriture force l’admiration.
Le programme adopte un ordre indépendant de la chronologie et des sources littéraires. Il s’ouvre par les « Pensées orientales », dont le piano scintillant n’est pas sans rappeler Albeniz, le dédicataire. Nicolas Cavallier, basse, y déploie un chant séduisant, bien timbré, que l’on appréciera également dans « Pleine mer », un petit joyau où le piano, liquide et puissant, fait tournoyer l’oiseau. Géraldine Chauvet, mezzo, se voit confier « Chanson », des Poèmes de l’amour et de la mer, de Maurice Bouchor, et « La paix est dans le bois », de Francis Jammes. Belles illustrations de chaque poésie, fraîcheur limpide de la première, récit aux harmonies subtiles pour la seconde. La voix est bien placée, d’une expression toujours juste.
A côté de pièces d’un intérêt relatif – « L’hiver », duo agréable mais sans saveur, « Avril », fraîche bluette, « Sur la mer », glauque comme l’écrit le poète – nous découvrons des réussites singulières, en particulier « Recueillement », que la comparaison avec Duparc n’amoindrit en rien. La « Chanson triste » mérite d’être connue, à côté de celles du même Duparc, et de Saint-Saëns. Eric Huchet chante six autres mélodies, dont « Amour évanoui », titre original du « Temps des lilas » qu’écrira ensuite Chausson. Ici, le piano épouse la forme poétique, et la ligne mélodique, d’une grande distinction, permet au ténor d’y déployer tout son art. Sophie Marin-Degor, interprète des mélodies de Verlaine, se montre ici remarquable : voix chaude, ligne de chant impeccable, diction parfaite. Ainsi « Mes cheveux dorment », splendide approche paisible, puis pathétique de la mort, « Soirée d’hiver » dont l’harmonie franckiste sied à merveille au climat si particulier du poème, et surtout « Paysage majeur », ultime mélodie de Bordes, qui conclut le récital, où la chaleur enivrante d’un soleil estival accompagne l’épuisement du cœur.
Le trop rare François-René Duchâble excelle dans la richesse de l’écriture pianistique. Tour à tour babillard, énergique, lumineux ou sombre, fluide, coloriste, son piano accompagne avec intelligence et complicité les quatre solistes. Il faut enfin souligner la qualité éditoriale et le soin apporté à la confection de la brochure d’accompagnement, auxquels l’éditeur nous a accoutumé.