Le Stabat Mater de Steffani, s’il n’a pas atteint la notoriété de ceux de Pergolèse, Vivaldi, Rossini ou Poulenc, n’est pas « quasiment inconnu », comme l’affirme l’éditeur. Contemporain de Cavalli et de Frescobaldi, mais oublié, Agostino Steffani avait été redécouvert par Alan Curtis au début des années 80. Gustav Leonhardt réalisait le premier enregistrement de l’oeuvre en 1994, suivi par Harry Christopher en 2009. La nouveauté de cet enregistrement réside dans son interprétation et dans son couplage avec six motets dont, pour le coup, c’est vraiment la première édition phonographique.
Cecilia Bartoli, toujours animée d’une saine curiosité musicale, réalisait en 2012 un premier enregistrement, anthologie d’airs lyriques d’Agostino Steffani. Nous la retrouvons ici avec ses partenaires Diego Fasolis et I Barocchisti. La cantatrice chauve de la pochette de Mission a heureusement cédé la place à une Vierge contemplative, en accord avec le programme.
La Stabat Mater mobilise 7 solistes (pour 6 parties réelles ?), un chœur à 6 voix, les cordes et le continuo. Les 20 strophes sont regroupées en 12 numéros, traités de façon contrastée, illustrant au plus près du texte. Celui-ci emprunte certaines strophes au Stabat Mater speciosa, peu fréquenté par les musiciens.
Le climat douloureux dans lequel les cordes commencent, rondes et pleines, est l’occasion d’une admirable conduite de la ligne vocale de la soliste. Se succèdent chœurs, soli, ensembles, dans des combinaisons renouvelées, toujours d’une grande vérité expressive, faisant appel à des écritures également variées, de l’arioso à la grande fugue. L’intérêt se renouvelle constamment et l’auditeur est proprement tenu en haleine par la narration et son commentaire. Ainsi, le « Pro peccatis suae gentis » est confié à un chœur, violent, puissant et contrasté, qui porte la marque du grand motet versaillais. « Virgo virginum praeclara » pleurent les solistes en de longs mélismes soutenus par les cordes. Au recueillement du « Quando corpus morietur » succède pour conclure l’espoir confiant du Paradis, d’une remarquable écriture polyphonique. Le figuralisme, omniprésent, n’est jamais un cliché convenu. Chacune des voix est illustrée, seule ou dans les ensembles, sans qu’il soit possible de louanger plus particulièrement l’une d’elles. Bien sûr, Cecilia Bartoli s’y montre au-delà de tout éloge, par la retenue de son chant, virtuose certes, mais toujours intelligible et égale dans tous les registres. Mais Nuria Riel, Yetzabel Arias-Fernandez, les sopranos auxquelles sont réservées plusieurs duos, Franco Fagioli, le contreténor, Julian Prégardien et Daniel Behle, les ténors, ainsi que la basse Salvo Vitale forment avec elle un ensemble équilibré et harmonieux. La seule présence de notre diva semble les galvaniser, à moins que ce soit – déjà – la direction raffinée, inspirée et exigeante à laquelle Diego Fasolis nous a accoutumé. L’orchestre et le continuo sonnent toujours juste, dans le choix des timbres comme dans le jeu. Quant aux chœurs, qu’ils chantent seuls, en dialogue avec le ou les solistes, ils sont proprement admirables de dynamique, d’équilibre et de cohésion.
Les six motets, dont l’écriture s’échelonne entre 1673 et 1676, sont tout aussi dignes d’intérêt. Le Beatus vir à 8 voix fait appel à une polyphonie toujours aérée, lisible, où le cantabile italien se marie à la profondeur et au relief du grand motet français. Non plus me ligate fait la part belle à notre (super) soliste, dont la voix s’épanouit dans les registres extrêmes avec la souplesse qu’on lui connaît, dans un dialogue avec les cordes et le continuo. La douceur et la plénitude du Triduanas a Domino est confiée aux solistes et au chœur, dans une harmonie parfaite. Quant au Laudate pueri, en sept parties, c’est un sommet du genre, par sa vie intense et la variété de son écriture. Le « Gloria » final, conclu par un « Amen » jubilatoire en sont la plus belle illustration. Du Sperate in Deo, nous retiendrons particulièrement le bel air où la basse dialogue avec le chœur. L’enregistrement s’achève par le Qui diligit Mariam, d’une grande douceur apaisée.