Point ne suffit de rassembler l’élite mozartienne du moment et une vedette du star-system pour réaliser l’enregistrement qui fera date. Après son Don Giovanni décevant, il y a un an, Yannick Nézet-Séguin poursuit sa quête mozartienne qu’il promet de poursuivre avec cinq autres ouvrages lyriques à publier chez Deutsche Grammophon. Cet enregistrement fait suite aux représentations données en juillet 2012 à Baden-Baden : même distribution, même direction, même producteur. D’emblée, c’est l’orchestre qui appelle tous les suffrages, parmi les plus beaux ensembles mozartiens que l’on connaisse. L’équilibre idéal entre ses pupitres, la séduction de ses couleurs le désignent pour un Cosi d’exception. Yannick Nézet-Seguin a souvent dirigé l’œuvre et la connaît bien. Il lui donne une vie prodigieuse : légèreté, poésie et vigueur. Le continuo, vivant, inventif se révèle passionnant. Mais, généralement rapides, les tempi sont beaucoup trop souvent inappropriés. Absence de conception globale ou somme de petits renoncements sollicités par les chanteurs ? La précision et l’équilibre des nombreux ensembles sont néanmoins proches de la perfection.
Quant aux solistes, on cherche d’emblée la fraîcheur juvénile des jouvencelles et de leurs fiancés. Mozartienne accomplie, Miah Persson, au chant sensible et élégant (superbe, dans Sophie, du Rosenkavalier), est une Fiordiligi majeure. On se souvient de ses prestations à Glyndebourne, puis à Salzbourg. Elle se joue des intervalles distendus, Son aisance est réelle, servie par une tessiture très large, bien timbrée. Elle se montre touchante de sincérité dans le « Per pietà ». La jeune mezzo américaine Angela Brower, a l’abattage et la puissance de Dorabella. Gourmande de la vie, frivole, superficielle, la composition est appréciable, le timbre charnu, sensuel. mais éprouve-t-elle le désespoir qu’elle joue manifestement dans « Smanie implacabili » ?
Adam Plachetka (Antonio des Nozze di Figaro) est un baryton dont l’autorité naturelle et l’élégance sont connues. Attaché au Wiener Staatsoper depuis 2010, c’est l’excellence praguoise. Guglielmo, le beau gosse, fanfaron sanguin, charmeur et fat, chante ses deux airs. Le « Non siate ritrosi » sent l’effort, l’émission tendue, « Donne mie, la fate a tanti » semble rapidement expédié pour un andantino. Rolando Villazon occupe toujours le haut de l’affiche après avoir défrayé la chronique ces derniers temps…Sa carrière a connu des moments forts comme elle a parfois déçu. Sa métamorphose en ténor mozartien n’a pas toujours convaincu, cependant, son Ottavio et les airs de concert donnés à Verbier l’an passé ont comblé les amateurs. Nous attendons un amoureux ardent et juvénile et nous découvrons un Ferrando sans caractère. La tessiture large du rôle génère une émission qui sent l’effort, la tension permanente là où le naturel s’impose (pensons à Josef Reti). La voix manque de cette clarté brillante synonyme de jeunesse, particulièrement dans « Un’ aura amorosa », appliqué plus que sensible. Sa cavatine « Tradito, schernito » dégage davantage d’émotion. Totalement injustifié, dramatiquement comme musicalement, l’air « Ah lo veggio », débordant de joie, est ici purement supprimé. A-t-on voulu épargner au ténor un air généreux, brillant, mais éprouvant (qui culmine par treize fois au si bémol) ? On ne passe pas impunément de Verdi à Mozart
Les manipulateurs au cynisme aimable, Don Alfonso et Despina, sont inégalement servis. Mojca Erdmann, délicieuse en Oiseau de la forêt à Aix en 2008, a fait place à une Despina ambiguë, non pas « la spina » piquante mais aigre, parfois criarde, forcée, sans que l’on puisse vraiment savoir : jeu dramatique, travestissement, ou nécessité vocale ? Toujours est-il que l’humour et la malice paraissent aseptisés. « Felicissimi noi », Don Alfonso, au contraire, tire son éplingle du jeu, avec une langue intelligible, expressive et un jeu dramatique. Toujours au sommet de son art, Alessandro Corbelli, est familier du rôle, qu’il a chanté sur les plus grandes scènes du monde. Toutes ses qualités sont ici au rendez-vous : belle voix mûre, égale dans tous les registres qu’il sait colorer intelligemment, vibrato toujours maîtrisé, un acteur, tout particulièrement dans les récitatifs : c’est le baryton idéal.