Devoir de mémoire… ou devoir d’oubli ?
par Laurent Bury
Faut-il vraiment tout exhumer ? Faut-il rejouer des œuvres dont les conditions de représentation semblent à jamais disparues ? Face au raz-de-marée des résurrections en tous genres, on en vient nécessairement à se poser de telles questions, et au devoir de mémoire devrait peut-être parfois se substituer un devoir d’oubli.
Alors que Jesi a remonté les intermezzi de Pergolèse en les réinsérant à l’intérieur des opéras sérias qu’ils avaient été conçus pour accompagner, Bologne n’avait d’autre choix que de jouer isolément les œuvrettes du père Giambattista Martini (1706-1784), du monastère de San Francesco, théoricien et historien de la musique qui composa quantité de pièces sacrées et qui, ne se risqua dans le genre lyrique qu’à travers quelques brèves comédies : Azione teatrale en 1726, Dirindina en 1737, l’Impresario delle Canarie en 1744 et enfin les deux que réunit le présent DVD, un Maître de musique et un Don Quichotte, tous deux en 1746, mais sans qu’on sache si ces deux dernières furent réellement représentées, les partitions étant restées inédites. Nommé maître de chapelle de l’église des Franciscains de Bologne en 1725, alors qu’il était à peine âgé de 19 ans, le Padre Martini était admiré et respecté par la plupart de ses contemporains : Leopold Mozart le consulta au sujet de son fils Wolfgang, et il eut pour élève Grétry, Mysliveček et Johann Christiann Bach, entre autres. De là à dire que c’était un compositeur inoubliable…
La Serva padrona ayant fait une belle carrière, indépendamment de son opéra séria initial (les deux parties de l’intermezzo s’inséraient entre les trois actes de la tragédie), on pourrait imaginer que tous les intermezzi du début du XVIIIe siècle peuvent en faire autant. Hélas, rien n’est moins sûr. Il Maestro di musica se présente comme entièrement dénué d’action théâtrale, tout le sel du livret résidant dans les allusions et parodies auxquelles se livrent les deux personnages, le maître Tamburlano et son disciple : mais de ce sel, que reste-t-il près de trois siècles plus tard ? Comment nous rendre sensible aux querelles qui déchiraient alors le monde musical ? Cette conversation de trois quarts d’heure en (beaucoup de) récitatif et quelques airs peine sérieusement à retenir l’attention du spectateur d’aujourd’hui. Le Don Chisciotte (qu’avait monté en 2001 le Conservatoire italien de Paris, avec l’excellent Christophe Mortagne) se révèle un peu plus animé, et c’est visiblement sur cette deuxième partie de programme que se sont concentrés les efforts : à la vague toile peinte du Maestro di musica succède un décor élaboré, à la limite du prétentieux, avec ses détails incongrus (un corps humain planté à travers un mur, le buste d’un côté, les jambes de l’autre, un autre pendu par les pieds et décapité : les prisonniers d’Alcina, peut-être ?). Musicalement aussi, il y a plus à se mettre sous la dent, avec notamment plusieurs airs et duos très longs (et très répétitifs, il faut le dire), que la mise en scène est incapable d’animer autrement que par les pitreries et les grimaces du mime incarnant Sancho Pança en idiot du village.
Pour la distribution, Laura Polverelli semblait, sur le papier, un solide atout. Hélas, la mezzo italienne, qu’on a connue si brillante dans l’œuvre de Pergolèse, justement, est ici prise au piège d’une authentique tessiture de contralto dans laquelle elle s’avère en partie inaudible, seules les reprises des arie da capo lui permettant de s’élever dans l’aigu grâce aux variations qu’elle introduit par rapport à la partition. Son aisance scénique ne suffit malheureusement pas à faire oublier son inadéquation vocale, tant dans le rôle travesti du jeune élève Olimpino que dans celui de Nerina, prétendue suivante d’Alcina qui apparaît tantôt en guerrière, tantôt en magicienne. Le ténor Aldo Caputo paraît d’abord un curieux choix pour incarner le Chevalier à la triste figure, car il n’en a ni l’âge ni la maigreur ; sur le plan de la voix, le timbre est sans grande séduction, ce qui est un peu plus gênant dans le rôle du maître de musique où il est censé montrer à son élève l’art du bien chanter. Quant à l’orchestre que dirige Federico Ferri, l’Accademia degli Astrusi sonne souvent bien verte, avec des cordes parfois à la limite de la justesse, et avec un sa vingtaine de musiciens perdus dans la fosse du Communale de Bologne. Visiblement, l’entreprise a bénéficié d’un financement important (somptueux livre disque reproduisant de nombreuses photos couleurs du spectacle), mais il n’est pas garanti que la musique de Martini suscite hors de Bologne un réel engouement.
Giovanni Battista MARTINI
Il Maestro di Musica
Don Chisciotte
Mise en scène
Gabriele Marchesini
Scénographie
Stefano Iannetta, d’après des dessins de Dario Fo
Costumes
Claudia Pernigotti
Lumières
Daniele Naldi
Olimpino / Nerina
Laura Polverelli
Tamburlano / Don Chisciotte
Aldo Caputo
Sancho Panza
Matteo Belli
Accademia degli Astrusi
Direction musicale
Federico Ferri
Enregistré au Teatro Communale de Bologne, le 22 octobre 2011
1 DVD Deutsche Harmonia Mundi 88765433889 – 1h46