Dans la famille « production ultra-classique », je demande Un bal masqué au Teatro Regio de Parme. Reprendre le spectacle jadis conçu par feu Pierluigi Sammaritani n’était pas en soi une mauvaise idée : Sammaritani était un authentique esthète, comme en témoignent ses décors où sont convoqués toutes sortes de souvenirs de la tradition pictural occidentale : Friedrich pour le cimetière embrumé de l’acte II, la peinture flamande du Siècle d’or pour la maison de Renato, voire le Gérôme de La Réception du Grand Condé avec son escalier monumental bordé de dignitaires aux costumes chamarrés. Hélas, de ce magnifique écrin, on ne fait rien. Rien, car pour ranimer cette production, on a choisi Massimo Gasparon, qui a plus du fossoyeur que du metteur-en-scène. On assiste ici un véritable festival de chanteurs plantés au beau milieu de la scène, face au public, bras écartés : convention assumée, dira-t-on ? A d’autres ! La pauvre Amelia tourne en rond au milieu des tombes et des arbres du II, en prenant des poses effarouchées dignes de Blanche-Neige, et le tableau (à peine) vivant qu’on découvre au lever du rideau est si statique et encombré qu’on n’y distingue même pas les conspirateurs, pourtant annoncés d’emblée par la musique.
C’est d’autant plus dommage que, dans la fosse, Gianluigi Gelmetti offre de la partition une lecture enthousiasmante, analytique, sans une once de graisse, ce qui est crucial pour que la musique de Verdi ne bascule pas dans la chansonnette ou le bal populaire. Les tempos sont rapides – certains chanteurs ont un peu de mal à suivre, on y reviendra – et impriment à l’œuvre une urgence bienvenue, dénuée de toute emphase mal placée. A ce chef d’exception, il aurait fallu une distribution tout aussi exceptionnelle. Avec Francesco Meli, les choses commencent plutôt très bien : le ténor a parfaitement su négocier son passage de Rossini à Verdi, la voix est belle, même si quelques aigus sonnent d’abord un peu bas, même si l’on aurait aimé un peu plus d’ampleur à son « M’ami, Amelia ». Difficile de juger le comédien dans une production qui oublie complètement qu’un chanteur d’opéra doit aussi être un acteur. Vladimir Stoyanov est un solide baryton verdien, à l’aise dans cette tessiture ; on souhaiterait parfois un peu plus de panache, mais le rôle ne l’autorise guère, il est vrai. Reste le cas de Kristin Lewis : la soprano américaine a des aigus, des graves et du médium, mais son registre haut n’est pas toujours très agréable à l’oreille, et surtout la ligne vocale devient brouillonne dès qu’un minimum d’agilité est exigé (et encore, nous sommes loin du premier Verdi). Kristin Lewis s’avère alors incapable d’interpréter en rythme les notes écrites – elle aurait sans doute préféré que Gelmetti adopte pour elle un tempo moins alerte – et il en résulte d’assez vilains savonnages. Autour des trois protagonistes, Elisabetta Fiorillo exploite ses ruptures de registre pour composer une Ulrica assez terrifiante, aux graves sonores, même si la perruque dont elle est affublée la fait un peu ressembler à Yolande Moreau dans les Deschiens. Serena Gamberoni, enfin, est un Oscar nettement moins soubrette qu’on en a entendu, avec une voix plus nourrie qu’à l’accoutumée. Autrement dit, si vous rechercher dans votre Bal masqué la fièvre du samedi soir, vous vous rabattrez principalement sur l’orchestre ; si vous l’aimez un peu tiède, vous serez comblé par l’absence de mise en scène ; si vous aimez les grandes voix, vous irez peut-être voir ailleurs.