Surintendant de La Fenice de 1937 à 1940, Goffredo Petrassi (1904-2003) semble pourtant s’être soigneusement tenu à l’écart de l’opéra en tant que compositeur. Il y a bien Il Cordovano (1948) et Morte dell’aria (1950), deux œuvres lyriques en un acte, et quelques tentatives de théâtre musical, mais de toute évidence, la scène n’était pas faite pour lui. Cela ne veut pourtant pas dire que Petrassi n’aimait pas la voix, bien au contraire. Depuis le début de sa carrière, il composa des œuvres vocales, surtout pour piano, le Magnificat de 1939 étant sa première grande œuvre pour voix soliste et orchestre, précédée de quelques années par le Psaume IX, pour chœur et orchestre. C’est donc le jeune Petrassi qu’on entend sur ce disque. En 1934, il venait de découvrir Oedipus Rex, et il est clair que la production du Stravinski et tout le modernisme musical de l’entre-deux-guerres l’ont beaucoup influencé. Ne serait-ce que par son instrumentarium, le Psaume IX montre que Petrassi a bien digéré la leçon stravinskienne, y compris dans son versant néo-classique, à la Pulcinella ; il prouve avec le Magnificat qu’il est également capable de s’en affranchir, notamment avec le recours à un soprano léger dont la voix s’élève au-dessus de la masse chorale et orchestrale. A partir des années 1950, Poulenc allait à son tour renouveler la musique religieuse dans une veine un peu comparable.
Directeur musical du Teatro Regio de Turin, Gianandrea Noseda est à la fois un chef de fosse et un habitué de la musique symphonique. Cette double expérience lui permet d’insuffler aux partitions de Petrassi une authentique vie dramatique, sans jamais perdre de vue les subtilités de l’écriture du compositeur. Dès le premier numéro du Magnificat, ainsi que dans le Psaume IX, le chœur du Teatro Regio, très sollicité, enchaîne sans heurts les moments de frénésie syllabiques à des passages pleins de douceur où les mots s’étirent sur plusieurs mesures. Avec une belle énergie, il sait animer de ferveur les nombreux passages où le compositeur lui laisse la parole. La voix claire de la soprano slovène Sabina Cvilak (future Vitellia à l’opéra de Nancy en avril-mai 2014) plane sur les hauteurs, souvent dans le suraigu, avec des notes piquées et de longues phrases vocalisantes. Son timbre n’a pourtant rien de désincarné, et manifeste souvent une belle vigueur, conformément à l’enthousiasme qu’exprime le texte latin. Ce disque, qui propose le Magnificat en premier enregistrement mondial, permettra une vraie découverte à tous les amateurs de musique sacrée du XXe siècle et pourrait inciter les responsables de programmation à sortir un peu des sentiers battus.