Ces derniers temps, la parution coup sur coup de trois DVD interprétés par Placido Domingo (à New York chez Sony, à Londres chez EMI, à Milan chez Arthaus) avait pu donner l’impression que Simon Boccanegra était décidément un opéra pour ex-ténor. Il n’est donc pas mauvais de voir arriver sur le marché une version affichant (enfin) un authentique baryton dans le rôle-titre. Montée en 2007 pour le Communale de Bologne, cette production de Simon Boccanegra a ensuite été reprise en 2009 à Palerme, en 2010 à Parme et en octobre 2012 à Nice. Dès sa création à Bologne, elle avait fait l’objet d’un DVD, chez Arthaus, avec Carmen Gianattasio, Roberto Frontali et Giacomo Prestia. La revoici dans son édition parmesane, avec une distribution tout autre. On retrouve un spectacle à l’identité visuelle très nette, avec cette vision d’un Moyen Age stylisé : murs alternant les bandes horizontales noires et blanches, mosaïques géométriques, avec panorama médiéval de la ville de Gênes à l’arrière-plan. Les costumes, colorés, sont historiques, mais pas toujours très gracieux : la première robe d’Amelia ne la met pas vraiment en valeur, Adorno est perruqué, grimé et habillé comme Dimitri dans un Boris Godounov du Bolchoï dans les années 1960, tandis que la perruque et la barbiche de Boccanegra jeune donnent à Leo Nucci un faux air de Johnny Halliday, pilosité teinte sur visage ridé. Un peu plus gênant, cette mise en scène ne rend guère perceptible les sentiments des protagonistes : dans le cas de Paolo, cela nous épargne agréablement les grimaces de méchant et les gros yeux d’un Lucio Gallo, par exemple, mais l’affection qui devrait uni le doge à sa fille reste très théorique. Autrement dit, un spectacle regardable, sans plus.
L’aspect musical réserve de plus grandes satisfactions, mais avec de curieuses absences. Simone Piazzola chante plutôt bien, mais un personnage plus solide fait ici défaut en Paolo ; il se fait même bizarrement voler la vedette par un Pietro qui devrait n’être qu’un comparse. Roberto Scandiuzzi conserve une grande voix, mais son Fiesco est d’une douceur insolite, là où l’on rencontre davantage bien plus de noirceur. Dans un rôle qu’il chante un peu moins souvent que Rigoletto, Nabucco ou Germont, Leo Nucci semble souvent devoir consulter du regard les caméras pour suivre la battue du chef. Sans doute en accord avec la mise en scène, il ne s’attendrit jamais avec sa fille, conservant en toutes circonstances une certaine dureté, même dans les moments d’intimité, et réservant son énergie pour les affrontement publics (voir notamment la façon dont il glapit « E tu, ripeti il giuro ! » à la fin de la scène du conseil). Un Simon plus doge que père, en somme. Bien connue des Parisiens (Desdémone en 2011, un récital de mélodies russes en juin prochain, puis Vitellia en novembre) et des Toulousains (Donna Anna en mars, Elisabeth de Don Carlos en juin prochain), Tamar Iveri est une bien belle Amelia, sans doute un peu plus mûre que les candides jeunes filles qu’on entend parfois, mais il faut une voix bien charpentée pour assurer un rôle aussi lourd. Dans ce qui était peut-être doute son premier Adorno, Francesco Meli domine assurément la distribution, très en voix, aussi admirable dans les nuances que dans la vaillance. Avec lui, Simon n’est pas un opéra pour ex-ténor barytonant, mais bien un opéra de ténor. Il a depuis répété l’expérience à Rome, sous la baguette de Riccardo Muti, et l’on ne peut que se réjouir de voir que Verdi occupe de plus en plus de place dans son répertoire. Daniele Callegari profite de tous les passages où le compositeur accorde à l’orchestre une place privilégiée pour déployer les riches couleurs d’une partition désormais reconnue comme un des chefs d’œuvre de la maturité verdienne.