Avec cette production des Vêpres siciliennes, Pier Luigi Pizzi conclut sur une scène fort proche de celle qui ouvre Senso : des tracts tombent des plus hauts balcons, des drapeaux italiens s’agitent sur scène. Mais nous ne sommes pas à La Fenice, et ce n’est pas Le Trouvère qu’on donne. Pourtant, l’affrontement médiéval entre Français et Siciliens transposé au XIXe siècle nous vaut un Montfort habillé comme Farley Granger dans le chef-d’œuvre de Visconti et une duchesse Hélène qui a la silhouette d’Alida Valli. Lors de cette énième reprise d’un spectacle conçu pour l’ouverture de La Scala en décembre 1989, Pizzi a peu à peu éliminé les éléments de décor les plus monumentaux, empruntés aux plus beaux sites palermitains (notamment l’oratoire de Serpotta, jadis reconstitué pour le dernier acte) : autrement dit, le faste visuel a disparu, sans qu’une vraie mise en scène ne vienne en prendre la place. Et comme Riccardo Muti n’est plus là pour imposer une version archicomplète de la partition, nous avons là des Vêpres, ou plutôt des Vespri tels qu’on peut ordinairement les voir en Italie : largement privés de leur ballet et dans la version traduite en italien six mois après la première à Paris. Esthétiquement, le résultat est élégant : le plancher est blanc, tous les costumes sont noirs ou gris. Les Français sont en uniforme Second Empire avec de longues capes à l’autrichienne ; les Siciliens tout de noir vêtus ont l’air de paysans des années 1900. C’est très décoratif, mais théâtralement il ne se passe vraiment pas grand-chose. Par ailleurs, cette production avait déjà fait l’objet de deux captations : dès 1989, la version milanaise était diffusée par Opus Arte ; en 2003, Dynamic filmait le spectacle au Teatro Verdi de Busseto, avec un cast de deuxième catégorie.
Si une troisième captation s’imposait, ce ne pouvait donc être que par sa distribution, qui réunit les plus grands noms de la scène lyrique italienne. Encore dans un rôle de père douloureux, Leo Nucci paraît curieusement guindé, comme si l’habit militaire l’empêchait pour une fois de donner libre cours à ses sentiments. Ce Verdi-là lui conviendrait-il moins que d’autres ? Du fait de la regrettable rareté des représentations des Vêpres siciliennes, Montfort est un rôle qu’il ne chante guère, et dans lequel il est peut-être moins à l’aise qu’en Rigoletto ou en Boccanegra. En Procida, Giacomo Prestia pourrait s’imposer par la beauté du timbre, mais le personnage de l’exilé politique enfin de retour en sa patrie reste un peu timoré, et sa blanche chevelure lui donne l’aspect d’un paisible père de famille. Depuis longtemps abonnée aux Tosca et autres Butterfly, Daniela Dessi avait-elle encore en 2010 les exacts moyens vocaux de la duchesse Hélène ? Rien n’est moins sûr : la vocalisation s’avère délicate à négocier dans le boléro du dernier acte, l’aigu est devenu aigre, et l’on aimerait une voix plus pulpeuse sur l’ensemble de la tessiture. Heureusement, l’actrice sait faire passer une réelle émotion et préserve tout au long de la représentation une grande dignité. Son époux à la ville, Fabio Armiliato, avait été annoncé souffrant lors de la première des deux soirées filmées en vue de ce DVD ; pour lui, les Otello et les Radamès en série ont un prix, et l’on pense parfois aux efforts que Giuseppe Di Stefano imposa à sa voix pour interpréter les rôles plus lourds auxquels il n’était pas initialement destiné. Ce chant musclé et tendu peut avoir des adeptes, mais la nuance piano semble devenue surtout accessible en détimbrant. Dirigé par un Massimo Zanetti avant tout soucieux d’efficacité théâtrale, l’orchestre du Regio de Parme est en grande forme, mais la disposition des chœurs en fond de salle ou dans les allées remontant vers la scène cause parfois des décalages assez inévitables.