Il y a dans le dernier récital au disque de Marie-Nicole Lemieux un numéro qui vient subitement tirer l’auditeur de la béatitude confortable dans laquelle l’écoute des premières plages l’avait plongé, comme une douche froide ou plutôt comme une déflagration dans un ciel serein. Ce numéro, le quatrième d’un programme qui en comprend onze, est « Jupiter lance la foudre », extrait d’Iphigénie en Aulide de Gluck. Seul air en français, il contraste violemment avec les autres titres de l’album, y compris avec « Che farò senza Euridice » du même Gluck dont Philippe Venturini relève, à raison, l’invraisemblance dramatique. Quoi ! la douleur et le remords d’Orphée traduits au moyen d’un « joli andante en do majeur », tonalité allègre s’il en est ! Marie-Nicole Lemieux, heureusement, ne manque pas d’imagination pour en renouveler le propos, que ce soit dans l’ajout d’effets (un « il mio ben » surligné) ou dans l’ornementation (l’ultime reprise de la mélodie subtilement variée). Tout comme dans une autre page tout aussi rebattue, « Voi che sapete », l’air de Chérubin des Noces de Figaro, le contralto canadien sait proposer une interprétation sinon originale du moins attachante. Chaque intention, aussi marquée soit-elle, y apparait justifiée par le texte et la progression de l’émoi amoureux habilement traduite.
Mais revenons à ce « Jupiter, lance la foudre » qui vient bousculer l’italianité du programme (italianité toute relative puisque les compositeurs, eux, sont germaniques). La langue, certes, forme le premier élément de rupture mais, pas seulement : le ton, le style sont ceux qui faisaient de Ne me refuse pas, le précédent récital de Marie-Nicole Lemieux au disque, un album d’exception. La qualité de la diction évidemment, l’éloquence aussi, cette capacité en quelques phrases de tracer un portrait, de la même façon que certains dessinateurs en deux coups de crayon parviennent à saisir l’expression d’un visage. La silhouette qui se dresse alors est immense. Par l’ampleur du geste et le poids donné à chaque mot, la fureur vengeresse de cette Clytemnestre annonce la grandeur tragique de la Cassandre berliozienne.
L’autre plage saillante de ce récital est « Del mio destin tiranno », extrait de Montezuma de Carl Heinrich Graun, parce qu’il s’agit d’une partition rare et parce qu’elle donne à apprécier d’autres aspects du chant de Marie-Nicole Lemieux : la sensibilité, la chaleur du timbre, l’art de la nuance, la capacité à vocaliser, même si l’écriture de Graun s’avère moins ébouriffante que celle de Haydn ou de Mozart, tel « venga pur », l’air de Mitridate écrit à l’intention du castrat Giuseppe Cicognani. Comme dans l’extrait d’Iphigénie en Aulide, on relève l’attention porté au mot, notamment l’étoffe sombre dans laquelle s’enveloppe le mot « orrore ».
Ajoutons pour parachever le tableau la direction attentive de Bernard Labadie à la tête des Violons du Roy, d’un juste équilibre, suffisamment remarquable pour qu’on lui ait aussi confié l’ouverture de Mitridate. Dans un récital lyrique, cette échappée instrumentale ne s’imposait pas. Elle achève de mettre à mal la cohérence d’un programme déjà bousculé par la foudre de Clytemnestre, seul défaut finalement d’un album qui sinon aurait tutoyé les sommets.