Bicentenaire oblige, L’Avant-Scène Opéra se doit de mettre à jour ses volumes wagnériens, et même si Lohengrin avait été le dernier des grands opéras du maître de Bayreuth à rejoindre la collection, il n’en reste pas moins que vingt années se sont écoulées depuis la parution du numéro 143-144 en 1992. Depuis, L’Avant-Scène Opéra est passé à la couleur, mais ce n’est là que la plus visible de ses métamorphoses. En réalité, l’élément visuel joue un rôle de plus en plus important dans ces volumes, et cela n’a rien d’un effet de mode : l’opéra est théâtre autant que musique, et le visuel dépasse le cadre des maisons d’opéra, puisque ce Lohengrin nouveau inclut un passionnant article sur les fresques nazaréennes du château de Hohenschwangau, inspirées par la légende du Schwanenritter et réalisées vers le milieu des années 1830, donc avant que Wagner s’y intéresse, et bien avant que Louis II décide de faire également orner de scènes semblables son propre château de Neuschwanstein vers 1880. Tant qu’à reproduire ce genre d’œuvres, il faudrait bien vérifier chaque légende, car la prétendue « Fresque du château de Neuschwanstein » en page 5 ressemble bien davantage à la gravure figurant dix pages plus loin, d’après le spectacle donné à Munich en 1867 (dans le même ordre d’idée, l’image improprement appelée « tableau » en page 119 est en fait une lithographie d’après l’œuvre de Wilhelm von Kaulbach reproduite en page 3 avec la légende fort vague de « représentation de la seconde moitié du XIXe siècle »).
L’irruption de la couleur dans ce numéro permet aussi d’évoquer de façon plus parlante la fameuse « Féerie en bleu » qu’avait su créer Wieland Wagner à Bayreuth en 1958 (pages 6 et 82, les autres photos de cette production étant en noir et blanc). Outre la riche iconographie issue de diverses productions récentes, un long article est consacré au récent spectacle d’ouverture de saison de la Scala et à la mise en scène de Claus Guth, dont il est permis de penser que ce n’est peut-être pas sa création la plus aboutie : en tant que meilleure incarnation qu’on ait entendue depuis longtemps, Jonas Kaufmann mérite d’orner la couverture du numéro, mais l’on espère qu’il aura l’occasion de participer à des productions plus convaincantes. « Lohengrin à la scène », où Pierre Flinois étudie l’art de montrer Lohengrin de 1850 à nos jours, se substitue au texte d’Antoine Livio paru dans l’édition de 1992, « De Wieland à Herzog », qui évoquait uniquement les productions données à Bayreuth entre 1958 et 1987. La vidéographie a explosé, même si l’on dénombre moins de dix versions disponibles en DVD ; quant à la discographie, elle est passée de vingt-neuf enregistrements à quarante-six !
A une époque de déclin des voix wagnériennes, l’attention en vient à se focaliser sur le spectacle à défaut de toujours trouver de quoi combler les oreilles. C’est peut-être ce qui explique la suppression des quatre interviews publiées en 1992, qui donnaient la parole à de grands chanteurs pour qui Lohengrin appartenait déjà au passé (Jess Thomas, Ernest Blanc) ou à des sopranos que le passage des années avaient obligées à troquer Elsa pour Ortrud (Anja Silja, Leonie Rysanek). Trois nouvelles études se penchent sur les sources littéraires du mythe, sur le contexte idéologique dans lequel Wagner conçut son œuvre, et sur la psychologie féminine polarisée entre les deux héroïnes. En cette année de bicentenaire, ce volume ancre résolument L’Avant-Scène Opéra dans le XXIe siècle, celui de l’image mais aussi peut-être de nouveaux Chevaliers au cygne
N.B. : Tous les articles du numéro initial, paru en 1992, sont accessibles gratuitement sur le site de L’Avant-Scène Opéra.