De Dauvergne l’on pourrait dire ce que Pie VII dit de Napoléon lorsqu’il eut compris combien l’empereur était bon acteur, dans tous les registres. Alors qu’on se souvient surtout aujourd’hui de son opéra-comique Les Troqueurs, Dauvergne n’en fut pas moins un très grand compositeur de tragédies lyriques, et c’est peut-être par ce versant-là de son œuvre qu’il convient aujourd’hui de l’aborder. Quand il fit jouer cet Hercule mourant en avril 1761, il avait déjà composé dans la même veine plusieurs drames très appréciés : Enée et Lavinie (1758), Canente (1760) et Polyxène (1763 ; des extraits furent donnés en octobre 2011 à Versailles) ; viendraient plus tard Linus (1769, jamais joué) et Callirhoé (1773). Son maître Rameau venait de donner Les Paladins l’année précédente, et il lui restait à composer Les Boréades en 1764 (œuvre mise en répétition, mais jamais représentée). Avec Hercule mourant, nous sommes encore pleinement dans le modèle ramiste, avec cette construction dramatique rigoureuse, ces airs où les personnages explorent leurs propres sentiments et cette musique fastueuse des grandes scènes avec chœurs et ballets. Ayant une solide connaissance du genre depuis ses débuts jusqu’à ses derniers soubresauts, de Lully (Roland, Persée, Bellérophon, Phaéton) à Sacchini (Renaud) en passant par Rameau (Zoroastre), Christophe Rousset sait conduire le discours de la tragédie lyrique vers son inexorable conclusion, non sans donner à entendre au passage quelques splendides pages orchestrales magnifiées par les Talens Lyriques (la foudre tombant sur le bûcher d’Hercule, par exemple, ou la chaconne belliqueuse qui conclut l’opéra).
Tel Tartuffe, Hercule n’apparaît qu’au troisième acte de la pièce, avec un superbe air d’introspection scandé par des accords qui font avancer le discours ; il disparaît ensuite durant tout le quatrième acte, pour revenir en force au cinquième, qu’il domine entièrement. Andrew Foster-Williams est un puissant Hercule, mais toujours avec cette petite tendance à en faire trop qui le pousse à émettre parfois des sonorités nasales, à aller un peu trop loin dans la volonté d’expressivité. Le baryton franco-irlandais Edwin Crossley-Mercer n’a pas de ces excès, son timbre a moins de noirceur, mais on attendra de l’entendre dans un rôle plus développé pour juger de ses talents. Emiliano Gonzalez Toro a exactement l’étoffe voulue pour les rôles de haute-contre à la française ; à Hilus revient le « récit de Théramène » par lequel nous est contée l’agonie du héros, avant même que celle-ci ne se termine en apothéose au dernier acte. On remarque dans les divertissements le timbre gracieux du ténor Romain Champion (il était Atys dans la version de l’opéra de Lully dirigée par Hugo Reyne), sans oublier Alain Buet dans les épisodiques apparitions de la Jalousie et de Jupiter.
A ces messieurs répond une belle palette de voix féminines : timbre virginal et pur de Julie Fuchs, qui n’exclut pas la dimension sombre du personnage de Iole ; agilité et diction incisive de Jaël Azzaretti ; noblesse et maturité de Véronique Gens, incomparable dans ces rôles qui n’ont plus de secret pour elle, comme l’ont assez montré les trois disques Tragédiennes, et qui les aborde désormais avec une liberté excluant toute raideur ; âpreté trémulante de Jennifer Borghi, mezzo américaine qui n’a ici qu’une scène à interpréter, mais qu’on risque de beaucoup entendre à l’avenir, tant dans le répertoire de la fin du XVIIIe siècle (Renaud de Sacchini, Thésée de Gossec) que dans les cantates du Prix de Rome, puisque sa voix a su plaire aux responsables du Palazzetto Bru Zane, qui lui confient aussi le soin de défendre les opéras de Catel ou de Spontini.