Le règne de Charles VI sur l’empire des Habsbourg n’a pas la même aura politique que celui de son père, Léopold Ier, ni de sa fille, Marie-Thèrèse – l’Histoire le retient surtout en mélomane accompli et musicien assez avancé pour se permettre d’accompagner le célèbre Farinelli au clavecin. L’estime (réciproque) que lui porte Vivladi est d’ailleurs la raison indirecte pour laquelle le Prêtre Roux (qui lui dédie La Cetra op.9 en 1728) meurt à Vienne quelques mois après le monarque, en 1740.
A l’occasion de son intronisation en tant que roi de Bohême (1723), Prague devient pour quelques jours le centre du monde musical européen. Spécialement écrit pour le couronnement, l’opéra Constanza e Fortenza de Fux est créé sous la direction de Caldara. Giuseppe Tartini, Johann Joachim Quantz, Silvius Leopold Weiss et Jan Dismas Zelenka font partie de l’orchestre. Le château de Prague voit également monter une autre œuvre dans la tradition des náboženské školní hry [littéralement « pièces des écoles latines », spectacles contenant arias, interludes instrumentaux et ballets joués par les prêtres et étudiants des établissements scolaires jésuites de Bohême au XVIIIe siècle*] : le Melodrama de Santo Wenceslao sub olea pacis et palma virtutis conspicua orbi regina Bohemiae Corona [Mélodrame de Saint Wenceslas ou la resplendissance de la Couronne Royale tchèque sous les branches de l’Olivier pacifique et de la Palme de la Vertu] du même Zelenka.
Fils du Kantor de Louňovice, en Bohême, le compositeur a en effet probablement reçu sa formation musicale au collège Saint-Clément des jésuites de Prague. Ce « mélodrame » apparaît dès lors comme un « retour aux sources » alors que le musicien est employé à la cour (catholique) de Dresde depuis 1710 – sans y recevoir les égards qu’il mérite. Trop souvent décrit (à l’emporte-pièce) comme le « Bach tchèque », Zelenka possède une personnalité musicale propre qui doit être appréhendée comme singulière qu’elle est. Sans être la partition la plus subtile de son génial auteur – la pompe exigée est plus efficace qu’inventive et le libretto allégorico-patriotique plutôt lâche et improbable – l’oratorio n’est pas sans contenir quelques arias sublimes recyclées dans plusieurs œuvres ultérieures. De l’ensemble de la représentation, qui avec ses dialogues parlées et autres tableaux vivants, durait à l’origine près de trois heures, seule la musique de Zelenka est reprise sur ce double album.
L’interprétation proposée ici – déjà publiée en 2001 mais augmentée cette fois d’un magnifique facsimile digital du livret en latin et en allemand – compense en enthousiasme et en spontanéité les insuffisances techniques des chanteurs. Si le panorama d’ensemble reste acceptable, on trouvera chez chacun des carences qui rendent leurs prestations individuelles parfois brouillonnes et décevantes (vocalises floues, imprécisions d’intonation, manque quasi général de charisme, etc.) et qu’il ne serait pas particulièrement constructif de détailler ici par le menu – les conditions de la création de l’œuvre laissent penser que les solistes recrutés à l’époque étaient également passablement moyens. Heureusement, la direction de Marek Štryncl comble bien des lacunes par son énergie, sa théâtralité et son caractère grandiose. La prise de son flatte un ensemble instrumental que dominent des timbales et trompettes de circonstance mais au milieu desquelles l’usage raffiné des bois ressort comme la signature d’un Zelenka chérissant les sonorités de hautbois et bassons. Objectivement, la réédition de ce double album vaut surtout pour le bonus qu’elle propose et pour la (re)découverte d’une pièce singulière ne pouvant être biffée du catalogue de son auteur sous prétexte qu’elle n’atteint pas les mêmes sommets que ses plus grands chefs-d’œuvre (dont certains ont été écrites durant ce séjour praguois !). Cela dit, l’automne discographique verra la publication de nouvelles gravures de pages majeures du compositeur. La « Zelenka revival » serait-elle (enfin !) en marche ?
* Lire J. Bužga, M. Zemanová, « The Vocal Works of Jan Dismas Zelenka », Early Music, vol.9 n°2 (1981), p. 177-183 ; 178