Le nom de Sophie Wyss (1897-1983) ne dit peut-être plus grand-chose aux mélomanes, mais c’est pour cette chanteuse originaire de Suisse, établie en Angleterre en 1925, que Benjamin Britten composa ses premiers cycles vocaux : Our Hunting Fathers (1936), On This Island (1937), et surtout Les Illuminations, qu’elle créa aux Proms en 1940, sans oublier les French Folk Songs (dédiées aux enfants de Sophie Wyss, et dont elle grava des extraits pour Decca en 1943 avec le compositeur au piano). Si cette voix qui s’était mise au service de la mélodie contemporaine a sombré dans l’oubli, c’est peut-être à cause de la grande modestie de l’interprète, qui préféra toujours l’intimité des studios de la BBC, pour laquelle elle enregistra de 1927 à 1960.
C’est précisément à partir d’archives radiophoniques que le présent disque propose quelques exemples de l’art de Sophie Wyss. Autant l’annoncer d’emblée, la voix n’est plus toute jeune, le son n’est pas toujours de bonne qualité (les Enesco grattouillent beaucoup) mais on découvrira ici quelques perles musicales de la plus belle eau, avec quelques authentiques raretés dans le domaine de la mélodie française.
Les morceaux étant classés par ordre chronologique de composition et non d’enregistrement, Massenet ouvre le disque, avec son tout premier cycle de mélodies (1872), où le jeune compositeur ose déjà les audaces qu’il réaffirmera en fin de carrière, mêlant déclamation, mélodrame et chant. Le ton un peu précieux, la voix un peu chevrotante de la Suissesse ne messiéent pas à ces œuvres pourtant moins compassées qu’il n’y paraît.
Entre juillet et décembre 1907, Enesco composa son opus 15, où l’on reconnaît l’élève de Fauré. Selon ce que nous apprend le présentateur de la BBC, l’enregistrement fut réalisé en février 1954, avec Enesco en personne au piano, lors d’un séjour du compositeur en Angleterre. Malgré ce gage d’authenticité, Marie-Nicole Lemieux en donnait dans son disque L’Heure exquise une interprétation plus ferme et moins grésillante.
Longues d’une trentaine de minutes, les Images à Crusoé constituent le morceau de résistance. A partir de sept poèmes de Saint-John Perse (dont il avait déjà mis en musique des textes tirés d’Eloges en 1917), Louis Durey composa en 1918 cette partition dédiée à Pierre Bertin et aux pianistes Germaine et Marcelle Meyer. Robinson, revenus à la civilisation, y évoque les regrets que lui inspire son île : « J’estime que les Images à Crusoé constituent la fusion la plus complète que j’ai jamais réalisée entre l’expression musicale et l’expression poétique », disait Durey. De fait, voilà un cycle qui se classe aux côtés des autres suites pour voix et orchestre de chambre des premières décennies du XXe siècle, Poèmes hindous de Maurice Delage et autres. François Le Roux l’avait bien sûr enregistré dans son intégrale Durey chez Hyperion, mais pour piano seul, alors que l’on a ici, soutenant une voix de femme, un quatuor à cordes, une flûte, une clarinette et un célesta. Sophie Wyss y semble moins maniérée, plus naturelle, comme si la qualité poétique du texte tirait l’artiste de sa réserve de bon ton.
Dommage que le même Wigmore Ensemble n’ait pas été sollicité pour enregistrer avec la soprano la version orchestrée par Arthur Hoérée des Six Poésies de Honegger. Ces six textes, tirés du recueil de Cocteau Poésies (1917-1920), forment un cycle composé entre 1920 et 1923. Là aussi, la bizarrerie du texte met en relief l’humour dont la chanteuse était capable.
L’inspiration littéraire retombe nettement avec les Chants de Noël de Frank Martin (1947), sur les poèmes un peu nunuches d’Albert Rudhart, mais sans doute Sophie Wyss souhaitait-elle interpréter une œuvre que son compatriote lui avait personnellement adressée et dont elle avait assuré la création anglaise. Cette partition, initialement écrite pour voix, flûte et orgue, cadeau du compositeur à son épouse et à sa fille, offre néanmoins une belle illustration des talents conjugués du compositeur et de la chanteuses helvètes.
A Recital of French Song
Sophie Wyss
soprano