Sur les quelque quarante opéras composés par Gluck, quatre ou cinq à peine sont restés au répertoire. Des tout premiers qu’il ait composés, seuls des airs séparés nous sont parvenus, mais si l’on fait calcul, cela laisse néanmoins une vingtaine d’opéras qui n’attendent que d’être ressuscités : plusieurs l’ont déjà été, comme Paride ed Elena ou Ezio, mais il y a encore du travail pour ceux qui voudraient vérifier si ces œuvres méritent une résurrection. Originaire de Bologne, le chef Giuseppe Sigismondo de Risio a retenu un opéra justement commandé pour l’ouverture du théâtre de Bologne, qui présente l’intérêt d’avoir été composé aussitôt après le célébrissime Orfeo. Gluck aurait voulu travailler sur le livret de L’Olimpiade (opéra dont il a beaucoup été question ces derniers temps, un peu partout en Europe), mais Bologne imposa un autre livret de Métastase, plus propice au faste scénique, et qui permettait de mettre Gluck en concurrence directe avec Hasse, dont le propre Trionfo di Clelia venait de connaître un vif succès à Vienne.
Même si ses commanditaires lui avaient recommandé d’éviter les surprises, la partition livrée par Gluck présente néanmoins une réelle originalité qui lui permet de se détacher du tout venant des opéras-sérias composés à la même époque. Les cinquante-huit musiciens sur lequel il pouvait compter (l’ensemble Armonia Atenea en compte nettement moins, mais témoigne d’une belle vigueur d’interprétation) lui inspira la composition de pages orchestrales justifiée par la situation dramatique : à l’acte II, une scène de bataille se traduit par une juxtaposition saisissante de sinfonie et de récitatifs accompagnés. On découvre ici un Gluck martial, facette de sa personnalité que ses œuvres les plus connues ne mettent pas en évidence. Dans tout le reste de l’opéra, le compositeur a très souvent recours à l’accompagnato, qui confère un supplément d’intérêt au traitement d’un livret très verbeux. Les récitatifs sont déclamés de manière aussi vivante que possible, et l’on remarque au pianoforte George Petrou, qui fait également carrière en tant que chef.
Sans avoir recours aux stars du chant baroque, ce disque n’en parvient pas moins à rassembler une distribution très convaincante, à une exception près : dans le rôle du tyran Porsenna, le ténor Vassilis Kavayas, au timbre très nasal, manque singulièrement d’allure et de vaillance ; les chanteuses qui l’entourent réussissent à produire un chant plus viril que le sien ! A commencer par Mary-Ellen Nesi, dont on admire la noblesse et l’expressivité dans les différents types d’aria qu’elle a à interpréter. C’est à elle que revient le dernier air de l’opéra, le virtuose « De’ folgori di Giove ». Dans ce rôle de primo uomo, créé à l’origine par un castra, la mezzo gréco-canadienne s’impose sans peine, ne poitrinant les graves que lorsque cela s’avère opportun. L’autre mezzo de la distribution, Irini Karaianni, présente un timbre séduisant, qui n’est pas sans rappeler celui de la jeune Teresa Berganza. On retrouve un tout aussi heureux contraste entre les deux sopranos : à la flamme juvénile de Burçu Uyar s’oppose la maturité virtuose d’Hélène Le Corre. Cette chanteuse française, très remarquée lors de ses débuts en Pamina à Aix-en-Provence en 1999, puis dans la troupe de l’Opéra de Lyon, fait ici son grand retour. Habituée aux rôles privilégiant les aigus (Tytania du Midsummer Night’s Dream, Sœur Constance des Dialogues des carmélites), elle revient avec une voix plus épanouie, et ses accents impérieux la distinguent de sa consœur turque, au timbre nettement plus clair. Si l’œuvre de Gluck ne constitue pas en soi une révélation, cet enregistrement a au moins le grand mérite de nous faire entendre des voix qu’on aura plaisir à retrouver dans ce répertoire.