Le label Ricercar propose, sous le titre attrayant mais confidentiel (il n’apparaît pas sur la couverture de la pochette mais seulement dans le livret d’accompagnement) « Un dimanche à Leipzig », trois œuvres redécouvertes par Florian Heyerik, qui dirige l’Ensemble vocal et instrumental Ex Tempore.
Il s’agit de deux cantates et d’un magnificat de deux des élèves de Jean-Sébastien Bach à Leipzig, Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756) et Johann Ludwig Krebs (1713-1780), et d’une Missa brevis de l’un de ses cousins (et non neveu, comme l’indique par erreur le livret p. 8), Johann Ludwig Bach (1677-1731). La première cantate, Durch die herzliche Barmherzigkeit (Par l’amour et la miséricorde) séduit immédiatement par son impressionnant chœur d’ouverture, avec une prise de son qui met en valeur la transparence des voix tandis que l’orgue, en retrait, constitue un halo sonore. Le talent de Goldberg est une évidence – peut-être la musique instrumentale se fait-elle trop discrète par rapport au chant (sans qu’on sache si cela est dû aux conditions techniques de l’enregistrement ou s’il s’agit d’un choix assumé). La très belle aria pour soprano « Dunkle Wolken, weicht » (« Sombres nuages, fuyez ») est interprétée avec beaucoup d’expressivité par Sophie Karthäuser, tandis que le récitatif du ténor met en valeur la voix dramatique et le beau timbre de Stephan Van Dyck. Le chœur est parfaitement en place, notamment lors des effets de fugue, comme pour les explosions – bien contrôlées – de joyeuse espérance. L’arioso très feutré chanté avec délicatesse par l’alto Marianne Vliegen est précédé d’une brève introduction instrumentale où les cordes participent de la dimension dramatique par des contrastes habilement ménagés. Enfin, le chœur et la musique sont particulièrement émouvants dans le choral final « Johannes ging vor Jesu » (« Jean précéda Jésus »). Toutes qualités qui font parfois regretter une interprétation instrumentale très retenue qu’on imaginerait aisément plus sonore.
La Cantate Hilf, Herr ! die Heiligen haben abgenommen (Aide-nous, Seigneur, les hommes pieux s’en vont), reprenant le psaume 12 (il s’agit du psaume 11 dans la version œcuménique), marque en ce sens un heureux contraste par une ouverture résolue aux cordes. Les sonorités graves et leur insistance marquée expriment ensuite la fausseté du monde signifiée par le choeur. Après un récitatif donné par la voix bien frappée du baryton Lieven Termont, c’est une merveilleuse composition musicale qui illustre, après un superbe duo soprano/alto saluant l’aide du Seigneur, le texte du psaume : « Les paroles de l’Éternel sont des paroles pures », porté par une grande homogénéité des instruments.
On n’en dira pas autant du Magnificat de Krebs. D’emblée, on est un peu gêné par quelques stridences dans l’aigu – faut-il les attribuer à un effet de réverbération ou aux voix elles-mêmes ? Un peu d’acidité dans un écrin de douceur discrète par ailleurs ne serait pas en soi bien gênante, mais il se trouve que ce morceau ne convainc pas autant que les autres. Certainement d’un grand intérêt pour musicologues et spécialistes de cette époque, il n’apporte pas de révélation particulière avec ses constructions un peu laborieuses bien éloignées du génie du maître auquel il rend cependant hommage par cette forme d’exercice. À l’image de ce côté « musique pour connaisseurs », le texte du livret utilise, au sein du texte français, des termes allemands sans leur traduction, ce qui empêche par exemple une partie du public potentiel de comprendre pourquoi l’expression « Krebs im Bache » est censée montrer à quel point le jeune Krebs se sentait chez lui à Leipzig : encore faut-il savoir que Krebs signifie l’écrevisse et Bach le ruisseau.
En revanche, le dernier morceau proposé, la Missa brevis de Johann Ludwig Bach est d’un autre tonneau (mais pourquoi ne pas donner dans le livret le texte latin à côté du texte allemand fourni avec sa traduction, puisque c’est dans cette langue qu’elle est chantée ?). Dès les premières mesures du Kyrie, on mesure toute la distance qui sépare le bon élève Krebs de l’artiste inspiré qu’est le cousin du grand Bach. Les inflexions du « Christe Eleison », subtilement nuancées, émeuvent aussitôt. Éclatante démonstration que les grandes œuvres appellent de belles interprétations, dès lors que les moyens sont réunis. On est transporté par le dynamisme du « Gloria », saisi par le magnifique chœur d’enfants à la musicalité poignante.