A l’été 2011, le festival d’Aix a créé l’événement en proposant la première Violetta sur le sol européen de Natalie Dessay qui avait assuré sa prise de rôle quelques mois auparavant aux Etats-Unis. Beaucoup avaient exprimé un fort scepticisme avant le lever du rideau. Des trois vocalités qu’il faut posséder – une pour chaque acte – pour assumer le rôle, la star avait-elle seulement la moitié d’une ? Les spectacles, joués à guichet fermés et diffusés sur Arte, avaient dans l’ensemble convaincu la critique (voir celle de Christophe Rizoud). La publication du DVD chez Virgin classics est l’occasion de porter un autre regard sur ce spectacle.
La mise en scène de Jean-François Sivadier, filmée par Don Kent, en sort grandie. Le décor qu’on a l’impression d’avoir déjà vu cent fois, est moins présent et c’est tant mieux car ces coulisses d’un théâtre dans le théâtre, avec force toiles peintes, ne signifient pas grand chose. La dimension sociale du drame de la dévoyée confrontée au regard petit bourgeois est totalement masquée et, avec la scène des Zingarelle et des Matadors, on n’est pas très loin du récent Manon de Colline Serreau : c’est fort laid sans que la finalité de ces choix ne soit évidente. L’élément clef de cette lecture, si l’on en cherche une, semble être la différence d’âge entre Violetta et Alfredo : le jeune homme fait son expérience et, si sa sincérité n’est pas en cause, il n’est pas certain qu’il en sorte très affecté. Il vivra encore. Violetta en revanche fait un dernier tour de piste et trouve, enfin, le grand amour. Mais c’est un chant du cygne.
La captation vidéo, par de nombreux gros plans sur les artistes, permet de prendre la mesure d’une vraie direction d’acteurs. Les trois personnages principaux sont saisissants et leurs sentiments émeuvent de bout en bout.
Natalie Dessay, dont les talents d’actrice sont connus depuis longtemps, est en parfaite syntonie avec cette démarche. Les costumes, parfois réduits à leur plus simple expression (la robe du début du II et de la fin), mettent en valeur sa fragilité. Vocalement, elle n’est pas une Traviata conventionnelle. Elle est même parfois en difficulté à cause d’un appui insuffisant dans le medium ou dans les parties plus graves qui la voient sombrer (par exemple dans le court dialogue au début du duo avec Germont). En revanche, elle est à son aise dans les phrases belcantistes qui émaillent la partition ou dans les passages où l’émotion pallie les défaillances vocales. Et au final, c’est cela que l’on retient. Le petit bout de femme décharnée et marquée physiquement qui marche vers le public pour mourir sur l’avant-scène est simplement bouleversante. Le public de l’Archevêché lui fait un triomphe mérité. Au vu de ce que l’on a entendu depuis, il n’est pas certain que l’on puisse revoir Natalie Dessay aussi à son avantage. Addio del passato ?
Ses partenaires sont au diapason : le ténor américain Charles Castronovo est un Alfredo juvénile, passionné et crédible. On a beaucoup glosé sur le contre ut peu convaincant, inutilement ajouté, qui conclut la cabalette du II (« O mio rimorso, o infamia ») et sur certaines de ses attaques qui ne sont pas d’une pureté exemplaire. Mais on voit et on entend un jeune amoureux qui chante avec style et phrasé. C’est déjà beaucoup.
Ludovic Tézier est l’autre triomphateur de la soirée. Certes, ici, Giorgio Germont est davantage grand frère que père. Mais son autorité sobre, par exemple lors de son entrée à la fin du II, n’est pas discutable. Vocalement, Tézier trouve en Germont, après Posa, Renato, Ford et Rigoletto un nouveau rôle verdien à sa mesure. L’aigu est glorieux et la ligne de chant n’a guère de rival. Dommage qu’il ne soit pas aidé par la direction de Louis Langrée qui, par exemple pour son premier air (« Pura siccome un angelo »), choisit des tempi excessivement lents. Du reste, c’est tout au long de la représentation que le London Symphony Orchestra paraît abandonner toute ambition dynamique au profit d’un simple accompagnement des solistes. Les chœurs, malgré un italien perfectible, sonnent très bien dans cette captation qui assure un très bon équilibre entre les pupitres.
Au final, ce DVD atypique, par les choix de production comme par le profil des solistes, ne peut qu’appeler l’attention. Malgré une vidéographie abondante (plus d’une vingtaine de versions dominées par la version Gheorghiu – Solti de 2004 chez Decca et par celle de Salzbourg de 2005 (Netrebko – Rizzi), la présence de cette étape aixoise dans les vidéothèques se justifiera parfaitement.