Ces mélodies anglaises du XXe siècle parlent de la guerre que l’on fait, que l’on va faire, où l’on est mort, et des êtres aimés qui la vivent à distance. Ou bien elles parlent de tout autre chose, mais ce n’est pas grave. Le choix de Keenlyside est excellent. Il se rapproche cependant d’un choix auquel on ne peut pas ne pas penser : celui réalisé par Bryn Terfel pour son « Vagabond » (Deutsche Grammophon) en 1995. Dix-sept des vingt-neuf mélodies ici retenues avaient déjà été choisies par Terfel.
Si l’on se réfère à ce dernier, c’est parce que « The Vagabond » reste non seulement le meilleur disque de Terfel, mais peut-être un des meilleurs disques de mélodie anglaise dans l’absolu, voire tout simplement un des meilleurs disques de mélodies que je connaisse. La comparaison dans le Shropshire Lad de Butterworth entre autres est inévitable. Elle fait apparaître chez Keenlyside la recherche d’une expression plus brave, plus virile peut-être que celle de Terfel, qui privilégiait la mi-voix jusqu’au murmure. Keenlyside est un soldat, sinon un soudard. Il n’économise pas les décibels de sa belle voix de bronze. Cela va parfois jusqu’à communiquer une sorte de tension musculaire, voire une certaine nervosité à ces mélodies, dont on se demande parfois si elle est nécessaire. Dans « The lads in their hundred » ou encore « Is my team ploughing », le génie terfélien du sussurrement fantomatique nous manque cruellement.
Il n’en reste pas moins que les mélodies ici rassemblées sont presque toutes de premier ordre, avec notamment deux Kurt Weill saisissants (dont le dernier déjà retenu par Hampson dans son disque consacré à Walt Whitman) et un Ned Rorem très théâtral. La vigueur voulue par Keenlyside trouve sa contrepartie dans un soin de la ligne, du galbe vocal, exemplaires. Et lorsqu’il s’agit de confidences ou de remémoration, ce métal sait se faire tendre (« When death to either shall come », « In Flanders ») et alors le chanteur fait preuve d’une chaleur communicative et, osons le mot, fraternelle.
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