Avec cette nouvelle édition de Pelléas et Mélisande, l’Avant-Scène Opéra retourne aux sources d’une collection qui compte aujourd’hui plus de 200 numéros et représente, pour tout amateur d’art lyrique, une somme incontournable. L’ouvrage de Debussy fut l’un des premiers à faire l’objet d’un numéro, le neuvième de la série en mars 1977, pour être précis. Depuis l’eau a coulé sous les ponts du royaume d’Allemonde. Mais les amours imaginaires des héros de Maeterlinck continuent d’occuper l’affiche des théâtres lyriques. L’œuvre pourtant rebute encore. Le scandale des premières représentations, sans perdurer, reste concevable. Cette musique, faite d’air et d’eau ainsi que l’analyse André Lischke dans un long texte à la limite du hors-sujet, ne semble avoir à première écoute ni antériorité ni postériorité. Il revient à Gérard Condé, cicérone émérite comme toujours, d’en dévoiler les influences : Chabrier, Massenet et, moins attendu, Boris Godounov dont Debussy avait lu en 1893 la partition piano-chant. Puis Wagner, évidemment, qu’il s’agissait alors d’exorciser. Quant aux successeurs, Pierre Boulez, plus loin, règle la question en quelques phrases, définitives : il n’y en a pas.
Capter l’essence d’une musique aussi originale n’est pas exercice facile. On y voit la raison pour laquelle ce numéro multiplie les angles d’approche, plus nous semble-t-il que d’autres fois : correspondance, témoignages – dont celui historique d’André Messager qui dirigea la création de l’œuvre en 1902 –, analyses, études, entretiens avec des chanteurs. Dans leur interview respective, François Le Roux et Stéphane Degout avouent l’un et l’autre avoir été déroutés par la tessiture de Pelléas. Boulez les renvoie dans leurs buts. Ténor évidemment. Pourquoi sinon le rôle serait-il écrit en clé de sol ? Autre indice irréfutable si l’on se réfère aux traités d’harmonique les plus orthodoxes (sic) : l’ambitus, du do grave au la aigu. Pourtant n’en déplaise à l’auteur du Marteau sans maître, discographie, vidéographie et programmes des théâtres lyriques confirment la suprématie du baryton Martin. Jacques Jansen au disque en 1941 en reste l’incarnation suprême. Ce premier enregistrement intégral du drame lyrique de Debussy, dirigé par Robert Désormières, fait encore référence, malgré son âge, en raison de l’équilibre de sa distribution et de la « fluidité du discours musical ». Ca tombe bien : son dépouillement rejoint celui de la mise en scène de Bob Wilson en 1997 à l’Opéra de Paris, dont la reprise prochaine justifie cette nouvelle édition de l’Avant-Scène.
Rarement d’ailleurs édition n’aura été aussi nouvelle. Le lecteur de 1977 n’y retrouvera pas un seul de ses articles. Est-ce une raison pour jeter son vieux numéro ? Evidemment pas. La rencontre avec Jacques Jansen et Vladimir Jankelevitch, pour qui le mystère debussyste est un mystère au grand jour, le passage à la question de Mélisande par Catherine Clément, toujours préoccupée par la condition des femmes à l’opéra, le montage de Pierre Macherey autour de Proust et Pelléas rendent l’édition initiale aussi indispensable que la nouvelle. Alors ? Poussez les murs de votre bibliothèque.